MARSEILLE. La photo d’un groupe d’enfants surgit sur l’écran de son téléphone portable. Accompagnée d’un -message : « Tout le monde va bien. » 

Elle provient d’un parent d’élève qui, ce matin, escortait la classe du fils de Carine à la piscine. 

« On a créé un groupe de conversation entre nous sur -WhatsApp (une messagerie sur smartphone), confie cette Marseillaise, quadragénaire et mère de trois garçons scolarisés dans l’une des vingt-quatre écoles juives de la ville. Au début de l’année, c’était pour les devoirs mais depuis quelques semaines, on s’écrit surtout pour se rassurer. » 

Depuis l’agression d’un enseignant de l’institut franco--hébraïque par un lycéen musulman d’origine kurde, le 11 janvier, la vigilance au sein de la communauté juive est montée d’un cran, sans pour autant basculer dans la paranoïa. « Je ne traîne plus à la sortie de l’école pour bavarder avec les autres parents, poursuit-elle. Mis à part ça, je n’ai pas changé mes habitudes. » 

Pour Carine comme pour son entourage, les récentes discussions autour du port de la kippa constituent un faux-débat. « Kippa ou pas kippa, on est repéré ! » s’exclame-t-elle, justifiant le fait qu’elle n’ait donné aucune recommandation particulière à son aîné de 14 ans à ce sujet. « J’essaye de lui faire comprendre les choses sans l’apeurer ou l’inciter au repli sur soi. J’imagine qu’il a le réflexe de l’enlever quand il rentre à pied de l’école. »

À Marseille, où trente-six actes antisémites ont été déclarés en 2015, se montrer prudent quand on est Juif n’a rien de nouveau. Selon Raymond Arouch, président du centre culturel Edmond Fleg, cette « tradition de la vigilance », incarnée par le Service de protection de la communauté juive (SPCJ) et les jeunes bénévoles qui patrouillent devant les lieux sensibles, ne fait que se perpétuer. 

« Dans les années 1980, explique-t-il, lors de manifestations, on se portait nous-mêmes volontaires pour effectuer des fouilles ou aller vérifier qu’une bombe n’était pas cachée dans les toilettes. Aujourd’hui, on surveille davantage les sorties d’école. » S’il qualifie l’État français d’irréprochable en matière de protection depuis l’attaque de l’Hyper Cacher, il considère néanmoins que les patrouilles de militaires ne suffisent pas. 

À l’intérieur des écoles, les professeurs s’adaptent aussi. Carine se souvient d’un soir où son plus jeune fils lui a expliqué avoir participé à un exercice avec ses camarades. L’objectif était de « se cacher sous les tables et rester silencieux si jamais un homme méchant entrait dans la classe ». Des initiatives qui ne semblent pas réellement la choquer. Pour elle, la menace contre la communauté juive n’a pas augmenté depuis 2006, année de l’affaire Ilan Halimi, un jeune de 23 ans enlevé et torturé à mort parce que juif ; ni depuis 2012, année marquée par la tuerie à l’école Ozar Hatorah de Toulouse, au cours de laquelle Carine a réellement pris conscience du danger qui menaçait sa famille. « Aujourd’hui, la menace est la même, sauf que la cible est plus large. »

Dans la cité phocéenne, 70 000 juifs côtoient près de 250 000 musulmans. Pour Raymond Arouch, l’agression à la machette n’a pas créé de tensions particulières entre ces deux communautés, habituées à vivre ensemble. Carine partage le même avis mais souligne que juifs et musulmans étaient plus soudés il y a vingt ans : « Ils avaient un ennemi commun dans la région : le FN. Aujourd’hui, ce n’est plus aussi clair. »

Tous deux appartenant au milieu associatif juif, Raymond Arouch et Carine partagent un même regret : l’absence de dialogue. « La difficulté, explique le président du centre culturel juif, c’est de trouver des porteurs de parole pour condamner fermement les attaques terroristes et pour engager des actions qui promeuvent l’interculturalité. » 

Un reproche également formulé du côté musulman. « Le dialogue interreligieux est plus facile avec les chrétiens, déplore Haroun Derbal, imam de la mosquée Islâh, située au nord de la ville. Chaque année, nous organisons une semaine islamo-chrétienne et récemment, un groupe est venu visiter la mosquée. Avec les juifs, c’est compliqué. Ils sont plus renfermés. »

Pour autant, l’imam refuse de parler de tensions entre les deux communautés, et encore moins d’antisémitisme. « L’une des particularités de Marseille est son excellent vivre-ensemble, déclare-t-il, inflexible. Juifs et musulmans font d’ailleurs souvent affaire. » Il aime rappeler que la création de sa mosquée, dont les propriétaires étaient deux associés juif et catholique, en est un bel exemple. 

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