On ne plaisante pas avec ça. Pour s’être aventuré dans un champ miné, avec des intentions douteuses, Dieudonné a été condamné pour haine raciale et privé de spectacle. L’humoriste, qui formait naguère avec Élie Semoun un duo antiraciste, caricaturant joyeusement des Noirs et des Juifs, prétend ne pas comprendre pourquoi on lui interdit d’exercer son métier.

Les blagues juives -n’occupent-elles pas des recueils entiers ? Ne croquent-elles pas des mères insupportables ou des rabbins d’une avarice inouïe ? Mais ce sont des Juifs qui les inventent, avec une propension exceptionnelle à l’autodérision. Woody Allen amuse tout le monde lorsqu’il susurre : « Je tiens beaucoup à ma montre, c’est mon grand-père qui me l’a vendue sur son lit de mort. » 

Rire des Juifs serait-il réservé aux Juifs ? Pierre Desproges avait démontré le contraire. Il pouvait lancer au micro : « On me dit que des Juifs se sont glissés dans la salle… » Ou, de la même voix grave : « On ne m’ôtera pas de l’idée que, pendant la dernière guerre mondiale, de nombreux Juifs ont eu une attitude carrément hostile à l’égard du régime nazi. » 

Mais c’était il y a trente ou quarante ans, dans un autre siècle. En ce temps-là, un humoriste parlait à un public précis, qui le comprenait. Cet humour-là, au second degré, se voulait une arme contre l’antisémitisme. Aujourd’hui, nul ne sait à qui il risque de s’adresser. Happée par la Toile, n’importe quelle phrase appartient au cybercafé du commerce. Sortie de son contexte, et prise au premier degré, elle peut se transformer en bombe à fragmentation.

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