Assistons-nous à l’épuisement de la démocratie ? Ou bien tout au contraire au rejet par les citoyens de ce système représentatif de plus en plus opposé à leurs aspirations démocratiques ? 

Pour comprendre l’actuelle crise politique, il faut se rappeler à quel point démocratie et représentation sont deux régimes distincts, voire antagoniques. Les historiens ont montré comment les révolutionnaires américains et français avaient pour la plupart une peur bleue de la démocratie, qui voulait dire pour eux à peu près la même chose qu’« anarchie » pour nous aujourd’hui : la participation directe, le rejet des -dominations et des hiérarchies... Jusqu’en 1789, démocratie signifiait décision par les assemblées populaires, tirage au sort des titulaires de charges politiques, révocabilité à tout moment. On connaît la célèbre phrase de Montesquieu, « le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par le choix (l’élection) est de celle de l’oligarchie ». 

Ces mécanismes garants du pouvoir du peuple ont été éliminés par des « modernes » bien plus préoccupés d’accumuler le capital et les richesses matérielles que de se consacrer aux affaires communes. Le suffrage universel, longtemps redouté par la bourgeoisie, légitime désormais une aristocratie élective de représentants professionnels, notables, possédants ou experts. Le vote populaire a été formaté par l’école, l’entreprise, les médias, les partis, ces appareils idéologiques d’État producteurs de résignation et de passivité sociales. Le parlementarisme a atrophié la démocratie. 

C’est aujourd’hui la légitimité de ce dispositif qui s’érode. La poussée des mouvements sociaux dans les années 1968 a enclenché en retour une contre-révolution néolibérale par laquelle les représentants se sont placés au service des marchés : trente ans de néolibéralisme ont abouti à la fusion des élites financières et étatiques – officialisée aux États-Unis avec l’achat légal des hommes politiques par les lobbies, mais tout aussi visible en France avec la relation incestueuse entre Bercy et les banques. Depuis 2009, le sauvetage sur fonds publics des banques et l’hyperaustérité ont aggravé la crise de confiance entre le peuple et ses élus. La pire crise depuis 1929 n’a pas amené, comme dans les années 1930, une reprise en main de la finance par le politique, mais au contraire un renforcement inédit de son pouvoir. Les classes politiques et les États se refusent à répondre aux grands défis que sont l’essor des inégalités sociales et des émissions de CO2. Les gouvernements de droite ou de gauche mènent indifféremment les mêmes politiques d’austérité favorables aux intérêts des 1 % les plus riches. L’effondrement politique de François Hollande tient à l’évidence au fait qu’il gouverne pour « son ennemie, la finance ».

Depuis trois ans les mouvements Indignés, Occupy et leurs cousins (Brésil, Turquie, etc.) rejettent cette démocratie de basse intensité. L’exigence qui monte est celle d’une démocratie réelle, où les pouvoirs politique et économique seraient enserrés dans l’étau du contrôle citoyen. 

Imaginons par exemple que les assemblées élues soient systématiquement doublées par des assemblées de cent ou deux cents citoyens tirés au sort pour une année, disposant du pouvoir de veto sur les décisions des élus, veto débouchant sur un référendum populaire. L’histoire antique et récente (avec par exemple les jurys ou conférences de citoyens) montre la fécondité des délibérations informées entre citoyens ordinaires. Les élus devraient alors y réfléchir à deux fois avant de prendre des mesures contraires aux intérêts et à la volonté des citoyens. L’heure est à l’imagination pour sortir nos sociétés des ornières périlleuses où elles s’enfoncent.

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