À quels sommets ne pourrai-je atteindre ?
Et quelles rigueurs devrais-je craindre ?
Car l’ensemble de la Création
Et tout ce que Dieu n’a pas créé
Compte moins pour mes aspirations
Qu’un cheveu sur mon front couronné.

 

Mutanabbî, Le Livre des sabres, choix de poèmes (édition bilingue), traduit par Patrick Mégarbané et Hoa Hoï Vuong © Sindbad / Actes Sud, 2012

 

Vous avez échoué comme prophète ? Prenez modèle sur Al-Mutanabbî : faites de la poésie. Né à Kufa, à 170 kilomètres au sud de Bagdad, l’adolescent rebelle essaie de fédérer les tribus bédouines. Car les chevaux, la nuit, le désert le connaissent ; « le sabre aussi, la lance, le papier et la plume ! » Mais que faire d’une génération « et médiocre, et indigne » ? L’insurrection échoue. Après deux ans de prison, c’est en chantre des puissants qu’il gagnera sa vie, sans abdiquer ni sa fierté ni son indépendance. En ce Xe siècle de l’ère chrétienne, le califat abbasside n’a plus qu’une autorité de façade. Bientôt, les Buyides d’origine perse s’empareront de Bagdad, tandis qu’un ancien esclave eunuque, le Nubien Kafur, dominera l’Égypte. Faut-il voir dans cette décadence du pouvoir arabe la raison de ces vers blasphématoires ? « Chaque peuple a pour chef un maître ressemblant. » Comment les musulmans peuvent-ils accepter de tels guides ? L’œuvre d’Al-Mutanabbî s’appuie sur des formes séculaires qu’elle renouvelle par l’évidence minérale de ses sentences, un lyrisme intransigeant comme le vent dans le désert. Depuis un millénaire, elle incarne l’âme arabe dans toute sa superbe, qui préfère la mort au déshonneur, la quête incessante du nomade au renoncement du citadin, et les jeux de la guerre à ceux de l’amour. Sans que l’orgueil démesuré du poète ne nuise à son extrême sensibilité. Posons-nous néanmoins ces questions : les valeurs que son courage porte au pinacle sont-elles encore d’actualité ? Quels dangers y a-t-il à trop se référer à un passé fantasmé ? 

 

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