Agir sur le terrain, entreprendre, participer… C’est le but des animateurs d’associations interviewés par Manon Paulic, Pierre Vince et Clara Wright. Des initiatives nées librement hors du champ politique et très efficaces. Comme celle qui redonne aux exclus bancaires la possibilité d’avoir un compte pour pouvoir être payés et… gérer leur argent. Ou celles qui aident les jeunes à décrocher un emploi.

 

COMPTE NICKEL
Ryad Boulanouar, 42 ans, cofondateur du service Compte-Nickel

« Pour les exclus bancaires »

‘‘ Compte-Nickel est la première alternative à la banque. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est un compte sur lequel on peut déposer de l’argent, en retirer, recevoir des virements, connaître son solde en temps réel. On peut l’ouvrir en dix minutes sans conditions de revenus dans 1 100 bureaux de tabac. Il s’adresse en priorité aux 2,5 millions d’interdits bancaires et aux exclus du système bancaire. J’ai moi-même été interdit bancaire, je peux vous dire qu’on se retrouve mis au ban de la société. Vous êtes contraint de vous faire payer et de payer uniquement en liquide. Nous voulions réparer cette injustice.

Sur nos 193 000 clients, plus de la moitié sont des actifs, généralement des employés gagnant entre 1 100 et 1 600 euros. C’est une surprise pour nous, car nous pensions n’avoir que des exclus. La capacité de suivre son solde bancaire en temps réel et l’impossibilité d’avoir de découvert redonnent à ces personnes un contrôle sur leur argent. Elles gagnent aussi en pouvoir d’achat, car leurs frais bancaires passent en moyenne de 190 à 40 euros par an. Ceci me confirme dans l’idée que le système bancaire prend l’eau. Ces vingt dernières années, les banques ont perdu la confiance de leurs clients à cause des changements très fréquents de conseillers, de l’automatisation des services et des scandales à répétition. Concrètement, que tu sois millionnaire ou pas, si tu vas au McDo, tu vas avoir le même service, tu vas manger la même chose au même prix. C’est le cas partout. Mais dans la banque, il y a une forme de spécificité qui dit que plus tu es riche, moins tu payes, et plus tu es pauvre, plus tu es maltraité.

Pourquoi ce problème d’exclusion bancaire n’a-t-il pas été résolu plus tôt ? Les politiques sont déconnectés de la vie des gens. Ils traitent les problèmes par des lois centralisées inefficaces. Il y a bien un droit au compte bancaire en France mais pour le faire respecter, la démarche est compliquée et humiliante. Résultat : seulement 50 000 dossiers sont instruits par an. Il faut redonner de l’autonomie aux citoyens.,,

compte-nickel.fr

 

 

COEXISTER
Théophile Grzybowski, 
22 ans, étudiant en droit et en géographie à la Sorbonne

« L’idée d’un don du sang »

‘‘ L’association Coexister est née du rêve que le sang ne coule plus à cause de la guerre, mais pour faire la paix. C’était il y a six ans. Mon frère assistait à un meeting pour la paix organisé à la suite d’une recrudescence du conflit israélo-palestinien. Il a lancé l’idée d’un don du sang entre des croyants des trois religions monothéistes. À la fin de la réunion, une dizaine de jeunes sont venus le voir. Ils étaient musulmans, juifs, chrétiens, et ils l’avaient pris au mot. Ensemble, ils ont établi un partenariat avec l’Établissement français du sang et organisé leur premier don du sang en mai 2009 dans le XVe arrondissement. Une cinquantaine de personnes ont participé. Aujourd’hui, Coexister est composée d’une équipe de jeunes ayant entre 15 et 35 ans : une dizaine de salariés, 27 personnes en service civique et des bénévoles.

On s’est rendu compte que la religion pouvait être un outil de cohésion sociale. Car elle fait battre le cœur de beaucoup de personnes. Que l’on pouvait agir, faire un pas vers l’autre au nom de notre différence et non pas malgré elle. En France, on cristallise les problèmes sur les identités religieuses. C’est sûr que si on regarde le journal télé de 20 heures, on a l’impression qu’il n’y a aucune cohésion entre les religions. Mais c’est faux. Ça ne se passe pas toujours bien, mais il y a des rapports, des interactions. Au fil du temps, on est passé de la défense de l’interreligieux à l’interconvictionnel pour inclure les athées et les agnostiques.

Parmi nos grands projets à venir, il y a l’organisation d’une Nuit de la laïcité à Paris, durant laquelle les lieux de culte resteraient ouverts. Ça permettrait de résorber les fantasmes autour de ces espaces. Nous travaillons d’ailleurs auprès des écoliers, des collégiens et des lycéens pour libérer la parole et déconstruire les préjugés.,,

coexister.fr

 

 

AGENCE POUR L'ÉDUCATION PAR LE SPORT
Jean-Philippe Acensi, 45 ans, fondateur de l’Agence pour l’éducation par le sport

Une sélection par le sport

‘‘ Depuis vingt ans, nous accompagnons des éducateurs sportifs qui participent à l’intégration de jeunes souvent socialement en difficulté. Car nous faisons un constat dramatique : 20 % des jeunes sortent du système scolaire sans diplôme. Comment les introduire dans le monde du travail ?

Nous parions sur le sport comme critère de sélection pour repérer des talents pour les entreprises. Avec la banque LCL, nous pilotons un programme dans lequel cet établissement a accepté de casser tous les critères classiques de recrutement pour former 36 jeunes de la Goutte-d’Or. Grâce à une formation en alternance, ils deviendront dans un an conseillers de clientèle. L’objectif est de faire recruter 2 000 jeunes sur deux ans et que ce programme représente 10 % des recrutements de LCL en France. Il s’agit bien sûr d’étendre l’expérience à d’autres entreprises. Dans le même esprit, nous voulons remplir les centres de formation d’apprentis de Bobigny et de Lille qui sont en grande partie vides alors qu’il y a des emplois vacants dans ces filières dévalorisées. Aujourd’hui, la situation est tellement grave que notre mission, en tant que militant associatif, est d’agir sans attendre de solutions de l’État. ,,

educationparlesport.com

 

 

ESPÉRANCE BANLIEUES
Éric Mestrallet, 46 ans, fondateur d’Espérance banlieues

Des écoles adaptées aux banlieues

‘‘ Je voyais les habitants des quartiers difficiles essayer de changer leurs vies, en vain. En tant que chef d’une entreprise spécialisée dans la stratégie opérationnelle, j’étais habitué à trouver des solutions nouvelles répondant à des besoins émergents. Pourquoi ne pouvait-on pas innover pour répondre aux problèmes particuliers des banlieues ? 

J’ai décidé de m’attaquer aux causes. En 2012, j’ai créé une première école à Montfermeil, spécialement adaptée aux enfants du quartier. Leur spécificité vient du fait qu’ils sont d’origine étrangère et ont une perception du monde adulte assez négative. Pour cause : des parents au chômage et, souvent, des situations familiales complexes. L’objectif est de leur redonner confiance, de leur permettre d’acquérir les codes dont ils ont besoin pour pouvoir, plus tard, faire des choix libres. Le matin, on leur enseigne les savoirs fondamentaux comme lire, écrire, compter. Mais pas seulement : ils ont aussi des cours de français et d’histoire de France renforcés. L’après-midi, ils font du sport, ont des cours de théâtre, où ils mettent en pratique ce qu’ils ont appris d’une manière différente. Le vendredi, c’est balade en forêt. La plupart, enfermés dans leurs tours, n’ont jamais vu la nature. Ils portent un uniforme, qui symbolise leur adhésion au projet pédagogique. Et la levée des couleurs, c’est-à-dire des drapeaux français et européen, salue le symbole de l’unité. Dans nos écoles, les professeurs ne sont pas engagés par hasard. Ce sont avant tout des éducateurs, volontaires, qui font la démarche de venir travailler avec des enfants d’origines différentes et pour lesquels ils éprouvent une réelle empathie. C’est l’avantage des écoles indépendantes : le directeur a plus d’autonomie. Quatre écoles ont déjà été créées par la fondation (Montfermeil, Marseille, Roubaix et Asnières) et une quinzaine sont à l’étude pour la rentrée 2016. Dans dix ans, il y en aura près de deux cents. L’école Alexandre-Dumas de Montfermeil, la toute première ouverte en 2012, accueille une centaine d’élèves. Le taux d’absentéisme y est inférieur aux moyennes nationale et départementale. Le maire affirme que les tensions ont déjà baissé dans sa ville.,,

esperancebanlieues.org

 

 

CONSEIL DU COIN
Vincent Chauveau, 40 ans, notaire à Nantes

« On est comme un oncle, un frangin »

‘‘ Si les notaires prélèvent un gros pourcentagE sur certains dossiers, c’est pour pouvoir accepter des dossiers moins avantageux (sur les 95 typologies de tarification, 60 sont déficitaires). C’est aussi pour nous permettre de payer des salariés qui nous remplacent lorsque nous prodiguons des conseils gratuitement à côté, comme le veut la profession.

C’est la vocation des notaires du Conseil du coin. Quand nous avons commencé au début de l’année, nous étions une vingtaine de notaires installés dans des cafés de douze villes pour conseiller gratuitement qui le souhaitait. Je m’en souviens. Deux sœurs s’inquiétaient pour leur père qui présentait les premiers signes d’Alzheimer. Comment financer sa structure d’accueil ? Lors de ces Conseils du coin, les questions sur le droit de la famille reviennent sans cesse.

C’est le lieu qui permet ce rapport intimiste. Dans un café, on n’est plus en costard cravate, on n’est plus face à face. On partage un moment, côte à côte. On est comme un oncle, un frangin. Depuis, nous les organisons tous les premiers samedis du mois, avec près de 2 000 notaires. Le 7 novembre dernier, nous avons mené 60 consultations dans la seule ville de Nantes. C’est important de montrer que les notaires sont accessibles. Même pour léguer une canne à pêche ! ,,

conseilducoin.fr

 

 

CUISINE, MODE D'EMPLOI(S)
Thierry Marx, 53 ans, chef étoilé et fondateur de l’école de cuisine

12 semaines pour devenir commis

‘‘ En 2010, 54 000 emplois dans la restauration étaient non pourvus. Ce secteur recherche des candidats en permanence, surtout des débutants. Mais la formation professionnelle n’est pas toujours adaptée. J’ai voulu proposer une formation courte pour devenir commis de cuisine. Pendant douze semaines au rythme très soutenu, les élèves assimilent 80 gestes de base et 90 recettes du patrimoine culinaire français. La formation est entièrement gratuite, mais les absences et les retards ne sont pas tolérés. À la sortie, 92 % des 250 élèves trouvent un emploi.,,

cuisinemodemplois.com

 

 

SIEL BLEU
Jean-Michel Ricard, 41 ans, cofondateur et directeur général du groupe associatif Siel Bleu qui propose des activités physiques adaptées aux personnes âgées

« On veut redonner la banane »

‘‘ La médecine a donné des années à la vie ; notre but est de donner de la vie à ces années supplémentaires. Montrer aux personnes qui vieillissent, qui se fragilisent, qu’il ne faut pas rester cloîtré chez soi. 

Cela passe par des activités très simples, mais qui peuvent changer une vie. Par exemple, travailler pieds nus, les yeux fermés, s’exercer à la gym aquatique… Quand notre groupe organise des séances de prévention de chute, on apprend aux personnes qui ont déjà chuté non pas à savoir tomber, mais à se relever seules.

La finalité du sport, ce n’est pas simplement de faire du sport, mais d’être un outil pour la santé, la confiance en soi et la cohésion sociale. On veut redonner la banane aux personnes âgées, à celles en handicap physique ou mental, aux personnes atteintes de maladies chroniques afin qu’elles ne se sentent pas comme des « patients » toute leur vie, mais juste comme des personnes !

Notre groupe associatif travaille toujours en partenariat pour toucher le plus de personnes (avec les maisons de retraite, les mutuelles, les ONG, les collectivités locales). Notre but est d’être accessible financièrement (une séance collective de sport coûte entre 3 et 5 euros) et géographiquement (on est implanté dans les milieux ruraux, comme en Auvergne ou en Creuse). Aujourd’hui, on compte 100 000 bénéficiaires par an. Des petites sœurs de Siel Bleu sont nées en Belgique, en Irlande et en Espagne. ,,

sielbleu.org

 

 

ALLIANCE VILLES EMPLOI
Marie-Pierre Establie d’argencé, déléguée générale de l’Alliance villes emploi

Accompagner les chômeurs dès les premiers jours

‘‘ Notre objectif, c’est d’éviter que les demandeurs d’emploi deviennent des chômeurs de longue durée. Pour cela, il faut un accompagnement personnalisé dès les premiers jours si l’on veut qu’ils retrouvent du travail très rapidement. Le quatrième mois arrive très vite et vous commencez à ne plus être dans le circuit, vos réseaux ne répondent plus. Or, pour l’instant, il existe un sas de deux à trois mois avant une vraie prise en charge par Pôle emploi.

Deuxièmement, il faut comprendre que l’aide à la recherche d’emploi est un travail de proximité qui demande un ancrage local. C’est cette connaissance des bassins d’emploi et de leur évolution qui fait notre efficacité. 

Nous avons inventé des dispositifs qui marchent. Par exemple, la clause sociale qui intègre aux appels d’offres des marchés publics une obligation de recrutement et de formation de chômeurs. Nous avons une équipe de 321 facilitateurs qui suivent les appels d’offres et les demandeurs d’emploi. Cela permet de très bons taux de retour à l’emploi. Il faudrait en doubler le nombre. Bref, il faut nous donner les moyens de travailler. Au lieu de cela, nous dépensons une énergie considérable à nous battre contre l’administration centrale alors que nous avons les mêmes objectifs.,,

ville-emploi.asso.fr

 

 

LIRE C'EST PARTIR
Vincent Safrat, 55 ans, fondateur de l’association

Des livres par millions

‘‘ Je voulais rendre la lecture accessible aux habitants des quartiers défavorisés. Ça m’a pris à l’âge de 19 ans, après un voyage au Pérou où j’ai été confronté à la misère pour la première fois. Je savais que les livres pouvaient changer la vie des gens qui, comme moi, n’avaient pas fait d’études. Alors, j’ai commencé à sauver des livres du pilon et à les distribuer en faisant du porte-à-porte dans les cités. C’était en 1992. Rapidement, j’ai voulu en distribuer plus : des dizaines, voire des centaines de milliers ! Six ans plus tard, j’ai convaincu l’imprimerie Brodard et Taupin de tirer une première collection de 400 000 livres. J’ai ciblé les enfants, car c’étaient eux qui se réjouissaient le plus de mes visites. Aujourd’hui, Lire c’est partir emploie sept personnes à temps plein et vend plus de 2 millions de livres par an, au prix fixe de 0,80 euro. On ne reçoit aucune subvention, on dépend entièrement de nos ventes et on a tous un vrai salaire. Grâce à notre camionnette, on sillonne les écoles et les associations de France, parce que c’est là que l’on trouve les enfants. On vend aussi sur notre site Internet. Certains instituteurs sont devenus des clients réguliers, mais nos livres sont destinés à tous. ,,

lirecestpartir.fr

 



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