Je rentre d’un voyage où j’ai donné des conférences au Chili, au Brésil et en Guyane. À Valparaiso, à Belém, à Cayenne, terre française, on m’a demandé de ne pas sortir le soir, on m’a interdit formellement certains quartiers, sous peine de me faire dépouiller, mais aussi de me faire tuer. Chacun de mes correspondants français y est allé de ses histoires. J’avais en d’autres temps rencontré le même discours en Colombie, en Argentine et dans de nombreux pays d’Afrique. Les pays qui, jadis, étaient des États de droit se rétrécissent comme peau de chagrin. La France elle-même…

La sécurité est un droit de l’homme, peut-être même le seul. Car, sans sécurité, il n’y a ni liberté, ni égalité, ni fraternité. Juste la peur. La peur, la crainte, l’angoisse, la terreur. La liberté disparaît quand on craint de la payer d’un coup de couteau dans le ventre, de coups et blessures, voire d’une balle dans la tête. Libre de quoi faire ? Pour aller où ? Et faire quoi ? Avec qui ?

L’égalité s’envole face à celui qui vous menace d’un calibre : il vous domine, il le sait, et il a compris qu’il peut ainsi dominer les dominants. Égalité avec qui ? Celui qui peut ôter la vie d’un homme l’écrase absolument et sait qu’il est le roi du monde. Pourquoi s’en priver s’il ne risque rien ?

Fraternité ? Qui est le frère de qui dans un monde où l’on est prêt à tout pour un portable, un bijou en or, une montre, un appareil photo, des gadgets qui valent plus cher que la vie d’un homme ?

Le devenir jungle de la planète est en train de couvrir tous les pays où la loi et le droit ont fondu comme neige au soleil pour faire place à la loi du plus fort dont les corollaires sont la loi de la jungle et sa réponse décérébrée : la loi du talion.

La sécurité (il faudra en parler à la gauche), c’est ce qui rend possible la liberté, l’égalité, la fraternité (il faudra en parler à la droite). Jadis, la gauche défendait la liberté, fût-ce au prix de la sécurité ; quant à la droite, elle défendait la sécurité, fût-ce au prix de la liberté. Or il faut un équilibre : assez de liberté pour que la sécurité soit légère ; assez de sécurité pour que la liberté ne soit pas en péril. L’action montrant souvent l’excès de l’une ou l’excès de l’autre.

Je remarque que tous ceux qui sont pour la liberté et contre la sécurité se précipitent au commissariat dès qu’on leur a volé leur nain de jardin. Preuve que les principes, c’est bien, mais que le réalisme, c’est mieux. La sécurité, c’est mieux de façon préventive… Sans elle, les ruines sont toujours certaines. 

Hobbes est le seul philosophe qui ait pensé la question de la peur en politique. Il décrivait l’état de nature comme un état dans lequel l’homme est un loup pour l’homme ; il invitait au renoncement à son propre pouvoir de nuire pour constituer un contrat qui rendait possible un État protecteur. Je renonce à mon pouvoir de nuire, une liberté, et, en retour, l’État me protège et m’offre la sécurité.

Le philosophe anglais ajoutait que quand l’État ne faisait pas le travail pour lequel on l’avait mandaté en renonçant, nous recouvrions nos droits d’agir, y compris contre lui. Il semble que l’État a failli : il ne nous protège plus, quand il ne nous expose pas par son impéritie réitérée… Autrement dit : nous n’avons le choix qu’entre la jungle dont nous venons et celle dans laquelle nous sommes revenus. Il y a matière à se demander s’il a bien existé un jour un contrat ailleurs que dans le cerveau des philosophes…  

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