« Quand on le voit à la télévision, on pense que c’est loin, mais c’est juste à côté. » Entendu sur TF1, ce témoignage d’un Parisien anonyme venu se recueillir sur l’un des lieux des attentats éclaire le lien particulier qui se tisse entre la télévision et le téléspectateur à l’occasion d’un événement aussi traumatique que celui du 13 novembre. Lors d’un tel événement, tous les facteurs de la loi de proximité – géographique, temporelle, affective, sociale –, qui fonde l’information, sont réunis.

Les éditions en continu des télévisions et des radios, le « live » des sites d’information, les unes des quotidiens changées au dernier moment, les numéros spéciaux des journaux suspendent brusquement le temps autour d’un événement dont la force atypique défie les dispositifs habituels du traitement médiatique de l’information. À chaque instant, l’urgence informationnelle met à l’épreuve les règles élémentaires du journalisme que sont la vérification et le recoupement des sources ou le nécessaire recul du commentaire. Tandis que le public observe les médias, les médias eux-mêmes se regardent, l’information de l’un alimentant ou validant celle de l’autre. Ce phénomène mimétique participe à la construction d’un récit collectif. Mais chaque média est aussi tenté de se distinguer, ce qui conduit aux « dérapages » relevés par le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) en février dernier dans la couverture des opérations policières à Dammartin-­en-Goële ou de la prise d’otages de ­l’Hyper Cacher.

L’exercice des « éditions spéciales » des télévisions, dont l’information est censée reposer sur des images renouvelées, est périlleux. La pénurie d’images conduit à diffuser les mêmes séquences en boucle, dont beaucoup meublent plus qu’elles n’informent (ballet des voitures de pompiers et des ambulances, façades des restaurants sécurisées…), mais aussi à puiser sans précautions dans les vidéos des réseaux sociaux. Les journalistes envoyés sur place, soigneusement tenus à l’écart par les forces de l’ordre mais soumis à la pression des rédactions, se bornent à confirmer à l’antenne l’information diffusée par les agences de presse. En fait, malgré les apparences, tout se passe sur le plateau où, aux côtés des journalistes, se succèdent les « experts », dont le rôle est paradoxal. D’un côté, leurs explications exorcisent le traumatisme, sinon en le banalisant, du moins en le rationalisant. De l’autre, ils contribuent à alimenter le climat anxiogène, surtout lorsqu’on leur demande d’imaginer l’avenir.

Les 14 novembre, BFMTV a multiplié par cinq son audience moyenne (9,8 %) ; iTélé a même battu un record d’audience (4,6 %). En demeurant devant leurs téléviseurs, seuls, en famille, entre amis, les Français ont cherché à atténuer le choc de l’indicible. Sur les écrans, ils ont vu très vite arriver des rescapés, puis des témoins et des anonymes. Ils ont pu s’identifier aux premiers et se retrouver dans la douleur exprimée par des gens qui leur ressemblent. Les uns y verront la marque du spectacle des émotions, d’autres un remède cathartique à l’angoisse.

Au lendemain des attentats de Paris, les titres des quotidiens parlaient de ­« ­carnages », d’« horreur », de « terreur ». Quelques-uns, pourtant, évoquaient la « guerre ». Le mot, bientôt validé par les politiques, s’est d’autant plus vite imposé dans les médias qu’il a rendu brusquement compréhensible un événement irréel et permis d’ouvrir une nouvelle page d’un récit dont nous ne connaissons pas la fin. 

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