Quelle est la particularité de l’attentat du 13 novembre ?

À travers cet attentat multiforme et très bien préparé, les terroristes n’ont pas seulement cherché à marquer les esprits. Ils ont voulu tuer. Il n’est que temps de prendre les mesures fermes qui s’imposaient déjà en janvier, après les attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, et non plus de se contenter de mots forts. Cela passe par l’arrestation des personnes surveillées, suspectées. Il y en a des listes entières : pourquoi ne sont-elles pas arrêtées ? De même, nous savons qu’il existe des prêcheurs, de nationalité française ou non, qui préparent le terreau de cet islamisme. Au nom du libéralisme démocratique, nous les laissons faire. Arrêtons de confondre islamophobie et anti-djihadisme ! Il faut se réveiller ! Nous sommes en conflit et nous devons en tirer les conséquences du point de vue législatif. 

Comment définiriez-vous le terrorisme et quels sont ses objectifs ?

La meilleure définition que je connaisse est celle de Raymond Aron. En substance : peut être désignée comme terroriste une action dont l’impact psychologique dépasse de beaucoup les effets physiques. Le terrorisme vise les esprits et les volontés. C’est son objectif. La rumeur de la frappe à venir doit elle-même participer à la terreur. Cette théâtralisation de l’horreur parvient à déstabiliser les esprits. 

Dans ce mécanisme, les chaînes télévisées d’info en continu alimentent largement l’effet de sidération. Elles modèlent les consciences… On rend le service au terrorisme de le relayer notablement. La société israélienne, confrontée au terrorisme, réagit très différemment. Les médias se contentent de donner l’information et refusent de diffuser des images qui amplifieraient l’effroi. Il ne faut pas affecter la volonté. En France, nous sommes toujours dans une société du spectacle. Mais tôt ou tard, une éthique du comportement se mettra en place. Si vous souhaitez que la population puisse faire face, il ne faut pas contribuer à la déstabilisation des esprits. Surtout dans une société vieillissante.

En quoi Daech se démarque-t-il dans ­l’histoire du terrorisme ? 

C’est un phénomène nouveau pour plusieurs raisons. C’est d’abord un mouvement qui se veut étatique, un proto-État. Ses dirigeants se sont implantés dans deux pays, l’Irak et la Syrie, en effaçant une frontière. Ils occupent un territoire relativement vaste, même s’il faut noter qu’il est désertique pour l’essentiel. 

L’État islamique n’est pas une organisation terroriste classique. Il utilise tout à la fois les moyens de la guerre, ceux de la guérilla et ceux du terrorisme. Il mobilise aussi bien des hommes aptes au choc frontal de la bataille que des djihadistes prêts au martyre. 

Ensuite, jamais le djihad n’avait attiré autant de monde : 20 à 30 000 personnes se sont engagées. L’État islamique excelle dans le maniement des réseaux sociaux pour recruter et tétaniser la société de l’Autre de façon à être tout le temps présent dans les esprits. 

Enfin, la théâtralisation de l’horreur les a merveilleusement servis. Ils n’ont pas tué grand monde, mais ils l’ont fait de manière spectaculaire. Ils s’imposent à travers un système médiatique, digne d’Hollywood, qui pallie leur modestie militaire. Car s’ils étaient si forts, ils seraient déjà à Damas. 

L’ennemi principal de Daech se situe-t-il en Syrie, en Irak ou bien en Occident ?

Sa préoccupation principale reste l’aire arabo-musulmane. La France et, de manière générale, l’Occident demeurent secondaires, même si Daech rêve de frapper partout. Son rival principal est Jabhat al-Nosra, une émanation d’Al-Qaïda. 

Vous considérez que Daech sera finalement vaincu. Pour quelles raisons ?

Parce que sur l’échiquier syrien, Daech est très largement concurrencé par Jabhat al-Nosra. Ce groupe est composé de Syriens contrairement à Daech. Ses membres ont l’avantage d’être implantés dans des villes et dans des zones peuplées. Et à l’heure actuelle, la conjoncture leur est favorable : la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar se sont accordés pour les aider financièrement. Cela fait beaucoup. L’avenir de Daech n’est absolument pas garanti. On ne peut pas tout résoudre par la communication. Il ne faut pas confondre l’aura médiatique d’une organisation avec sa capacité militaire. 

Pour ce qui est du côté irakien, ils tiennent la zone sunnite et cela risque d’être plus dur de les déloger. Ils sont sunnites et irakiens, comme la population, mais qu’ont-ils à vendre ? Au début, quand ils prennent le pouvoir, ils sont bien vus car ils amènent l’ordre. Mais ensuite, ils deviennent moralisateurs et n’offrent aucune perspective de croissance. Avez-vous déjà lu ou entendu dans leur programme le mot « travail » ? 

Comment analysez-vous la situation française ? 

Nous avons tout à la fois réussi et raté l’intégration. On l’a ratée partiellement car cela arrangeait l’appareil d’État que les marginalisés se débrouillent avec la drogue. Une partie non négligeable des banlieues vivent de trafics parallèles que la police a laissé se développer. 

Aujourd’hui, un double mouvement se produit en France. D’un côté, les salafistes profitent de notre libéralisme pour voiler leurs femmes, se marier entre eux, acheter uniquement des produits musulmans. Ils travaillent sur la séparation, le refus des Blancs. Une sorte d’apartheid. De l’autre côté, des jeunes déscolarisés se laissent tenter par l’aventure djihadiste. Ils évoluent entre l’univers de la délinquance et le terrorisme. C’est l’itinéraire suivi depuis vingt ans : prison, religion, terrorisme…

L’ordre finira par rester à la loi, car la France est un État fort malgré les apparences. Mais l’atmosphère va changer. Ce qui est latent va se concrétiser. Nous pourrions répondre sur le terrain, régler une partie du problème à la source, neutraliser les quelques milliers d’hommes de Daech, si nous acceptions l’idée de perdre des soldats. Mais nous n’avons plus cette volonté. C’est la loi du « risque zéro » : aucun homme au sol. Nous sommes surtout préoccupés de ne pas risquer nos forces. Du moins pour l’instant.

À quelle période situez-vous l’irruption du terrorisme dans nos sociétés ?

Le terrorisme naît vers 1880 avec les populistes russes. C’est un phénomène contemporain concomitant de l’invention et de la production industrielle de la dynamite. Le terrorisme, d’une certaine manière, est la conséquence d’une nouvelle technologie.

À la fin du xixe siècle, les anarchistes prennent le relais. Le pic se situe entre 1890 et 1914. Puis des militants bolcheviques opèrent. En 1925, ils provoqueront la mort de 182 personnes dans la cathédrale de Sofia, en Bulgarie, en actionnant une charge d’explosif dissimulée dans le clocher. 

Dans l’entre-deux-guerres, les fascistes et les nazis prennent leur part dans cette banalisation du terrorisme. Leur but est de liquider des figures de la démocratie. Puis vous aurez l’utilisation des armes du terrorisme durant la Seconde Guerre mondiale par des résistants. 

Résumons : la guérilla est l’arme du faible ; le terrorisme est l’arme du plus faible encore.

Peut-on parler d’un renouveau du terrorisme après la Seconde Guerre mondiale, d’un changement de nature ?

Le terrorisme, qui fut ciblé, devient un terrorisme aveugle. Dans cette nouvelle phase, les moyens de communication – qu’il s’agisse de transport aérien ou de diffusion de l’information – jouent un grand rôle. C’est un leader palestinien, chef du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), Georges Habache qui, en 1968, détourne pour la première fois un avion, un appareil de la compagnie El Al qui faisait la liaison entre Rome et Tel-Aviv. Ce mouvement, qui se révélait incapable d’organiser une guérilla contre Israël comme il l’avait proclamé, recourt alors au terrorisme. Et d’un seul coup, il projette dans l’espace mondial la question palestinienne qui était jusque-là perçue comme une simple question de réfugiés. Il politise sa cause. Lors de ce premier détournement d’avion, il ne tue personne. Il cherche seulement la plus grande résonance. Frapper les esprits. Et puis, il passera à une phase supérieure pour attirer l’attention. Le terrorisme proprement dit.

Quels sont les autres paliers après ce coup de gong ?

L’attentat du 11 septembre 2001 représente le zénith du terrorisme classique. Pourquoi ? Parce que Al-Qaïda se bat encore sans arme chimique, sans arme biologique, sans arme de destruction massive. L’attentat a frappé les consciences, mais reste le fait d’une bande qui a pris le contrôle et les commandes de deux avions civils avec des cutters : le minimum du minimum. Ils étaient déterminés à se sacrifier. L’opération, de leur point de vue, a parfaitement réussi. Mais rien ne pouvait leur assurer que les avions allaient s’encastrer dans les tours et que celles-ci allaient s’effondrer.

Comment la communication a-t-elle ­évolué d’Al-Qaïda à Daech ?

On est passé du prêche au spectacle. En 1991, pendant la guerre du Golfe, la communication était assurée à 95 % par CNN. On sait qu’il y avait des images fausses ou qu’ils sélectionnaient ce qu’ils voulaient montrer. Al-Jazeera est arrivée plus tard, timidement. Maintenant, Daech produit des images remarquables. Cette organisation compte parmi ses membres des ingénieurs du son et des informaticiens compétents. Elle a su s’imposer sur le marché de la communication qui est fondamental aujourd’hui. L’enjeu se situe au niveau des opinions publiques, on ne peut rien faire sans. La propagande de Daech est émise en treize langues ! 

Il ne faut pas sous-estimer l’impact de ce que l’on sème. L’Arabie saoudite, depuis 1973, n’a cessé de pratiquer une ­réislamisation de l’Afrique noire à ­l’Indonésie. Ils ont donné de l’argent pour construire des écoles coraniques, des mosquées, inciter les femmes à revêtir la burqa. Les effets sont considérables. Ils ont leur propre agenda. Comme la Turquie, qui a aidé Daech pour lutter contre Bachar Al-Assad.   

Propos recueillis par LAURENT GREILSAMER et MANON PAULIC

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