Khaled Kelkal est l’auteur d’une série d’attentats meurtriers perpétrés au nom du GIA algérien (Groupe islamiste armé) lors de l’été 1995. Ce jeune Franco-Algérien a grandi dans la banlieue lyonnaise de Vaulx-en-Velin. Lycéen absentéiste, il est inculpé une première fois pour trois vols à la voiture-bélier et sera condamné à quatre ans de prison. Derrière les barreaux, il se convertit à l’islam. Détenu sans histoires, il est placé en liberté conditionnelle. Dehors, il ne trouve pas de travail. Après un séjour en Algérie, il rejoint le GIA pour lequel il posera des bombes. Ses empreintes permettent aux forces de l’ordre de l’identifier. Il a 24 ans lorsqu’il est abattu dans une fusillade dans les monts du Lyonnais, en septembre 1995. Trois ans avant sa mort et sa dérive terroriste, il a longuement été questionné par un sociologue allemand, Dietmar Loch, qui s’intéressait à l’intégration des Franco-Maghrébins en France. Nous avons sélectionné et réorganisé des extraits de cette interview, parue dans Le Monde le 7 octobre 1995.

 

"J’avais les capacités de réussir [au lycée], mais j’avais pas ma place, parce que je me disais l’intégration totale : c’est impossible ; oublier ma culture, manger du porc, je ne peux pas. Eux, ils n’avaient jamais vu dans leur classe un Arabe, comme ils disent franchement, tu es le seul Arabe et, quand ils m’ont connu, ils m’ont dit : « Tu es l’exception. » 

Au collège, [les enseignants] reconnaissaient notre valeur, ils savaient ce qu’on valait et ils connaissaient nos limites. Mais au lycée, moi j’ai cru régresser. Ça, c’est à cause des gens. Il n’y a pas de contacts, même avec les profs. Ils arrivent, ils commencent leurs cours, ils s’arrêtent pas jusqu’à la fin. Au revoir !

Alors ça a commencé. On a volé, on a commencé à traîner. On voyait qu’on pouvait, tout en volant, gagner de l’argent. Et, chaque fois, la délinquance grandit. Si pendant ce laps de temps on ne se rattrape pas, le mec devient un gangster. Un an après, il prend les armes. 

Vous voulez de la violence, alors on va vous donner de la violence. On parle de nous seulement quand il y a de la violence, alors on fait de la violence. Nous, c’était à l’échelle individuelle. À l’adolescence, on est perdu, on ne sait pas trop où aller. C’est là où il faut faire des choix. Et quand on arrive à la transition du collège ou du lycée, c’est déjà un choix, c’est un changement de mentalité. On a un choix à faire, mais on est jeune. 

On voit la différence entre l’ambiance du lycée et l’ambiance du dehors, des voleurs. On était plus à l’aise, c’est la même mentalité qu’au collège, mais avec des adultes. Et quand vous volez, vous vous sentez libre parce que c’est un jeu. Tant qu’on ne m’attrapera pas, c’est moi qui va gagner. C’est un jeu : ou on perd ou on gagne. Mais c’est vrai, suivre cette route, ça ne mène nulle part. Après avoir fait de la prison, j’ai vu que j’étais perdant à cent pour cent. J’ai bien réalisé, mais je me dis que je regrette pas. On peut pas regretter ce qu’on a fait. Moi, je sais qu’en prison j’ai appris beaucoup de choses, surtout question vie, vie en groupe. J’ai même appris ma langue. J’étais avec un musulman en cellule. Là, j’ai appris l’arabe, j’ai bien appris ma religion, l’islam, j’ai appris une grande ouverture d’esprit en connaissant l’islam. Tout s’est écarté. Et je vois la vie... pas plus simple, mais plus cohérente. Maintenant, quand je vois des choses à la télé, j’ai pas la même réaction qu’avant. Avant, quand je voyais ça, je voulais répondre, mais par la violence, maintenant non. Maintenant, ces gens, j’ai pitié pour eux. Avant, j’étais obligé de… j’étais impulsif.

Au total, j’ai eu des grâces présidentielles. Ça m’a fait en tout trois ans, trois ans et demi. Entre-temps, j’ai toujours bossé un peu, des petits boulots. J’avais une super bonne place. C’est ça que je voulais : travailler, donner tant à mes parents, mettre de l’argent à côté pour plus tard, accumuler de l’argent, me marier, avoir des enfants, avoir une vie comme tout le monde. La vie, c’est quoi ? C’est progéniture, élever des enfants. C’est ça, la vie.

Je ne suis ni arabe, ni français, je suis musulman. Je ne fais aucune différence. Si maintenant le Français devient un musulman, il est pareil que moi, on se prosterne nous devant Dieu. Il n’y a plus de races, plus rien, tout s’éteint, c’est l’unicité, on est unis.

Il y a du racisme à Vaulx-en-Velin. Ces gens n’habitent pas dans des ZUP. Ils habitent dans des quartiers assez chics [de Vaulx-en-Velin]. C’est des gens qui travaillent, des gens adaptés comme ils disent. Ces gens, ils sont bien, leurs fils sont bien. Le fils, il vient d’avoir son diplôme, son père lui achète sa voiture, son permis. Il a tout ce qu’il faut. Mais le jeune, quand il voit ça justement, il va en ville. Il voit des jeunes Français avec une belle voiture. Moi, j’ai vingt-deux ans, j’ai même pas le permis. J’ai rien du tout. Ça touche.

Nous, on n’a pas de loisirs. Moi, personnellement, maintenant, il ne faut plus me parler de boîtes, machin. Déjà, dans une classe, j’ai pas ma place. Alors imagine dans une boîte ! Les Français peuvent entrer nombreux dans un bar. Mais nous, si on entre à sept ou huit, il devient fou, le mec. Pour moi, dès que je sors d’ici, je ne suis plus chez moi. 

Moi, j’espère, Inch Allah, retourner dans mon pays [l’Algérie] et monter quelque chose. Travailler un peu et mettre un peu d’argent à côté. Je ne veux pas vivre, je ne veux pas dépendre de ces gens. Quand j’aurai assez d’argent pour pouvoir ouvrir un petit commerce, quelque chose à moi… Si je travaille, je mange. Si je travaille pas, je crève. C’est tout, ça dépendra de moi et pas de quelqu’un d’autre."

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