« En traitant l’objet particulier de la théorie de la relativité, je tiens à préciser que cette théorie n’a pas de fondement spéculatif, mais que sa découverte se fonde entièrement sur la volonté persévérante d’adapter, le mieux possible, la théorie physique aux faits observés. Point n’est besoin de parler d’acte ou d’action révolutionnaire puisqu’elle marque l’évolution naturelle d’une ligne suivie depuis des siècles. » Pour Albert Einstein, l’origine de sa théorie de la relativité générale se place dans la continuité d’une réflexion millénaire sur la nature du mouvement et de la gravitation.

En 1905, sa relativité restreinte demandait d’abandonner des notions qui nous semblent pourtant intuitives. L’espace et le temps ne pouvaient plus être pensés indépendamment et devaient être remplacés par une nouvelle structure, l’espace-temps. Einstein réalisa aussitôt qu’une extension était nécessaire afin de prendre en compte la gravitation. Malgré les succès accumulés pendant plus de deux siècles, la gravitation universelle de Newton pouvait laisser insatisfait, comme l’exprime Newton dans une lettre à Richard Bentley (1692) : « Que la gravité soit innée, inhérente et essentielle à la matière, en sorte qu’un corps puisse agir sur un autre à distance au travers du vide, sans médiation d’autre chose, par quoi et à travers quoi leur action et force puissent être communiquées de l’un à l’autre est pour moi une absurdité dont je crois qu’aucun homme, ayant la faculté de raisonner de façon compétente dans les matières philosophiques, puisse jamais se rendre coupable. » La réflexion d’Einstein est ainsi ancrée dans la cohérence de l’édifice des théories de la nature.

Son point de départ est un principe formulé par Galilée : l’universalité de la chute libre, cette idée, elle aussi contre-intuitive dans la vie courante et pourtant vérifiée avec une grande précision par l’expérience, que dans le vide tous les corps tombent de la même façon. Ce principe lui permet de comprendre que l’espace-temps doit avoir une géométrie et que cette géométrie correspond à ce que l’on appelle la gravitation. On ne peut donc plus supposer que la géométrie euclidienne, celle enseignée à l’école, est la géométrie de l’Univers. Elle doit être déterminée par l’expérience ! Ainsi, selon Einstein, toute matière courbe l’espace-temps et cette courbure affecte le mouvement de tous les corps. Einstein entrevoit la solution en 1907. Il lui faudra huit ans de travail acharné pour transformer cette intuition en théorie.

La relativité générale est l’une des rares révolutions conceptuelles de l’histoire des sciences. C’est une vision du monde traduite en équations. Elle nous demande d’effectuer une révision complète des concepts d’espace, de temps et de gravitation. C’est le propre des grandes théories de révéler une réalité inaccessible autrement, de mettre au grand jour l’étoffe de la nature, comme la courbure de ­l’espace-temps. Voilà pourquoi elle fascinera tant les philosophes !

Einstein expose sa théorie devant l’Académie des sciences de Berlin en novembre 1915. Malgré deux succès expérimentaux, l’avance du péri­hélie de Mercure et la déflection de la lumière, la théorie ne sera que peu étudiée. La jeune génération s’intéresse surtout à la mécanique quantique, cette théorie de l’infiniment petit déroutante conceptuellement mais aussi par ses nombreux effets dans des expériences de laboratoire. La relativité repose sur des mathématiques modernes et peu enseignées à l’époque, elle est donc difficile à comprendre pour la plupart des physiciens. Et surtout, les effets qu’elle prédit sont infimes et hors de portée pour les astronomes. La communauté va se satisfaire d’une interprétation néo-newtonienne, acceptant les modifications techniques que la relativité impose à la gravitation de Newton, sans pour autant embrasser sa portée conceptuelle sur la structure de l’espace-temps. Cela n’était pas nécessaire car la théorie n’avait pas encore trouvé son véritable champ d’application.

Une petite communauté va cependant explorer les prédictions de la relativité dans deux directions. La théorie doit en principe permettre de déterminer la géométrie de notre Univers. C’est ainsi la naissance de la cosmologie moderne, qui sera un véritable espace de liberté pour penser et comprendre la relativité. La théorie prédisait que l’espace devait être en expansion, ce qu’Einstein eut du mal à accepter. En 1927, les observations d’Edwin Hubble prouveront pourtant que l’espace se dilate. Sous l’impulsion de pionniers comme Georges Lemaître, la théorie du Big Bang va naître de la relativité et changer radicalement notre conception de l’Univers. Il a désormais une histoire et un âge, aujourd’hui estimé à 13,7 milliards d’années. Un scénario permet de comprendre la formation des galaxies et la structuration de la matière. Ce modèle est vérifié par de nombreuses observations astrophysiques, ce qui a ouvert un champ de recherche actif.

Dès 1916, l’astronome Karl Schwarzschild avait exposé la première solution de la théorie d’Einstein. Elle décrit la géométrie autour d’une étoile. La compréhension de cette solution révèlera la possibilité de l’existence de nouveaux types d’astres comme les trous noirs. L’existence de ces trous noirs est une prédiction de la théorie d’Einstein et tout pousse à croire qu’ils existent dans notre Univers, même si une preuve observationnelle irréfutable n’a pas encore été donnée. La relativité prédit aussi l’existence d’ondes gravitationnelles, des ondulations de l’espace-temps lui-même, que de nombreuses équipes essaient actuellement de détecter. Dès que nous en serons capables, elles offriront un nouvel outil pour étudier l’Univers.

D’un point de vue plus pratique, la gravitation affecte le temps, un effet quasi imperceptible mais que les horloges atomiques peuvent aujourd’hui mesurer de façon très précise. Cette prédiction de la relativité est incontournable en métrologie et au cœur des systèmes de géolocalisation, comme le GPS.

La théorie de la relativité générale portait ainsi en elle des prédictions qu’Einstein lui-même ne pouvait prévoir en la formulant et auxquelles il a eu du mal à souscrire comme l’expansion de l’Univers, les trous noirs : une grande théorie physique voit souvent plus loin que ses créateurs. Il aura fallu presque un siècle pour explorer ce que la relativité portait en elle. Aujourd’hui aucune de ses prédictions n’a été mise en défaut par l’expérience. 

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