Liberté allemande, tu n’iras plus pieds nus,
Pour traverser landes et marais,
Enfin tu t’es gagné une paire de chaussettes,
Et même des bottes pour te chausser.

Ta tête sera coiffée
D’un bon bonnet de laine,
Pour que tes oreilles soient protégées
Lors des froides journées d’hiver.

On te donnera même à manger –
Vraiment quel brillant avenir ! –
Mais ne laisse pas un satyre français,
T’entraîner à de vilains excès !

Surtout pas d’insolences !
Ne te dispense pas du respect
Dû aux diverses autorités,
Et à monsieur le maire !

 

Traduit de l’allemand par Anne-Sophie Astrup et Jean Guégan, Nouveaux poèmes, 1844 © Gallimard, 1998, pour la traduction française

 

 

Rien n’est plus solide qu’un gros cliché, et plus dangereux pour l’entente des peuples. Rapprocher la France et l’Allemagne fut la grande affaire de la vie d’Heinrich Heine. Il lui consacra nombre d’articles et d’essais dans lesquels il dévoile la part la plus intime et la plus nationale de chacun des deux voisins. C’est dire que le poète et journaliste sut se jouer des stéréotypes, y compris littéraires. Vous croyiez la poésie germanique idéaliste ? Voici qu’avec Nouveaux poèmes il jette ses vers dans l’arène du réel. Et sans subordonner sa liberté artistique à un quelconque diktat politique. Quel auteur singulier : un « Voltaire pittoresque et sentimental » selon les mots de Gérard de Nerval ! Le poème Promesse date de 1841, alors que Heine habite Paris depuis treize ans. Séduit par la modernité politique de la France, il croit d’abord au libéralisme que promet l’accession de Frédéric-Guillaume IV au trône de Prusse. Mais la censure reprend très vite ses droits. Et, déçu, l’écrivain raille ces Germains qui se rêvent « casaniers et gentils », « fidèles comme le bois du chêne » à leurs monarques nationalistes. Car, selon lui, un feu -dangereux nourrit l’Allemagne : une brutale ardeur batailleuse que les philosophes ont réveillée du panthéisme germanique et contre laquelle le poète met en garde. Les temps ont changé. Et, contrairement au subtil écrivain, peu donnent aujourd’hui l’Hexagone en exemple aux habitants d’outre-Rhin. Serait-ce aux Français de relire Heinrich Heine pour s’inspirer de son « patriotisme mondial » ?

Vous avez aimé ? Partagez-le !