Peut-on juger de la bonne santé démocratique d’un pays selon la popularité de son gouvernant ? Alors l’Allemagne l’emporte haut la main. Angela Merkel n’est pas seulement plébiscitée de manière constante depuis son premier mandat par la majorité des citoyens de son pays, elle est aussi la « personnalité préférée » des Allemands. Quand on sait qu’en France, cette place se trouve alternativement occupée par Jean-Jacques Goldman et Yannick Noah, c’est à se demander si la chancelière ne s’adonnerait pas, à ses heures perdues, aux frissons de la scène ou à l’adrénaline des compétitions sportives. Mais puisque, à l’heure actuelle, la seule ivresse qu’on lui connaît est celle du pouvoir, et que, pour jouir pleinement de celui-ci en démocratie, il faut avoir été choisi par le peuple, la question mérite d’être posée du point de vue des citoyens allemands : que représente Angela Merkel à leurs yeux pour occuper une telle place dans leur cœur ? 

Cette situation semble contredire l’ensemble des théories en vigueur sur la représentation politique, qui serait par essence déceptive. Agir au nom des citoyens est une chose, leur plaire en est une autre.

Faisons l’hypothèse que cette popularité soit justifiée par son rôle de leader – jamais le terme de leadership n’a été autant employé en Europe qu’à propos de la place de l’Allemagne d’Angela Merkel au sein de l’Union. Führer est inutilisable ; « chef », à l’inverse, est trop utilisé ; reste le leader, celui qui domine en toute légitimité un groupe grâce aux liens de confiance qu’il a su instaurer. Selon Max Weber, il s’agit d’un type de domination constitutif à l’exercice politique qui se répartit en trois groupes. La domination légale, d’abord, qui s’appuie sur une Constitution écrite et qui se caractérise par son impersonnalité – c’est la bureaucratie. Ensuite, la domination dite traditionnelle, qui prend la forme du respect de valeurs héritées d’un passé commun – on reconnaîtra ce que Weber nomme le patriarcat ou le pouvoir féodal. Enfin, la domination charismatique, qui découle du magnétisme hors norme d’un homme doté d’un caractère « extraordinaire ».

Or, ce qu’il y a de vraiment extraordinaire, c’est que la chancelière ne montre aucune des qualités requises pour être en position de domination. La championne du leadership est plutôt moquée pour ses piètres qualités oratoires. De sexe féminin, elle échappe d’emblée à toute filiation patriarcale, à tel point que les Allemands la surnomment Mutti – ce qui signifie littéralement « maman », terme (jusqu’à nouvel ordre) absent du lexique managérial des leaders. Seul le mode de domination légale semble expliquer sa légitimité, mais on a connu vecteur de popularité plus fécond que l’efficacité bureaucratique. Alors, qu’a fait « Maman » pour mériter la plus haute place du podium ? 

La réponse est paradoxale – ou évidente : rien. Rien de plus que d’endosser une fonction, sans ambages ni séduction, sans bourdes majeures non plus. Connue pour sa neutralité obstinée et son absence d’engagement (la langue allemande s’est vue récemment enrichie d’un verbe supplémentaire, « merkeln », qui désigne la difficulté à prendre des décisions), la gouvernante ne fait rien pour être aimée – et les Allemands en redemandent. 

De l’autre côté du Rhin, point de drague ni de bling-bling. Gouverner sans éclat, tel est le secret du succès. La meilleure preuve ? La côte de popularité de la dame d’acier n’a jamais autant baissé que depuis qu’elle a accompli le geste héroïque d’ouvrir les frontières de l’Allemagne à près d’un million de réfugiés. 

Vous plaisiez ? J’en suis fort aise. Eh bien, agissez maintenant !   

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