Les éditions 2016 des Code du travail et Code du commerce que publie Dalloz dans leur version annotée, comptent respectivement 3 370 et 3 738 pages. Il est légitime de se demander pourquoi le premier est actuellement sous le feu de toutes les critiques, alors que le second – tout aussi contraignant pour les entreprises – est rarement évoqué dans le débat public. Le travail mériterait-il moins de pages que le commerce ?

D’aucuns disent d’aller voir chez nos voisins européens, notamment l’Allemagne, qui n’auraient pas le travers d’une législation si obèse. Faux, répond Alain Supiot, juriste et professeur au Collège de France : en Allemagne (comme d’ailleurs en Suisse ou en Grande-Bretagne), le droit du travail est régi par des lois éparses qui, une fois rassemblées en un seul volume, approchent des tailles évoquées précédemment (cf. par exemple l’Arbeitsrechts-Handbuch qui compte 3 034 pages dans son édition 2013). Et de déplorer : « On touche ici au degré zéro de la gouvernance par les nombres, qui mesure la qualité d’un texte à son poids. »

Fondamentalement, ce n’est pas la taille du droit du travail qui est en cause, mais son existence même. Dans une société gagnée par l’idéologie libérale, les réglementations nationales sont jugées archaïques et inutilement autoritaires. Pourquoi ne pas laisser les parties négocier elles-mêmes les conditions de l’emploi du salarié et de la rupture du contrat de travail ? Est-on jamais mieux servi que par soi-même ? C’est bien le sens des réformes proposées par les contempteurs du droit du travail : supprimer, ou tout du moins largement amputer la législation nationale et déléguer aux acteurs locaux (représentants élus et/ou syndiqués des salariés, acteurs patronaux) la responsabilité de définir les règles destinées à encadrer le travail, que ce soit au niveau des branches d’activité ou des entreprises elles-mêmes. Le risque existe d’un éparpillement de la législation sur le travail dans les 143 000 entreprises de plus de 10 salariés et les 710 branches qui composent actuellement l’économie française. Et surtout, la question reste entière de savoir si les acteurs locaux de la négociation seront en capacité de prendre le relais de la législation nationale

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