Le droit du travail, cause majeure du chômage français ? L’avalanche récente de rapports et de déclarations sur l’obésité du Code du travail a réussi à imposer une évidence médiatique : une simplification radicale est urgente. Le consensus autour des thèses traditionnelles du Medef et des économistes libéraux est désormais d’autant plus fort que Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen, deux figures jusqu’alors respectées pour leur rigueur intellectuelle et morale, y ont contribué bruyamment, en attribuant dans leur livre Le Travail et la Loi le maintien d’un chômage de masse à « un droit du travail perçu comme une forêt trop obscure et hostile » qui décourage les petits patrons d’embaucher. Toutes affaires cessantes, Monsieur Macron va donc y remédier.

Les effets de manche sur les « 3 000 pages » du Code du travail qui causeraient « 3 millions de chômeurs » – il faut lire à ce propos le tweet grotesque du Medef – ne reposent pourtant sur aucune étude sérieuse. L’OCDE – repaire anticapitaliste, comme chacun sait – a scruté les recherches économiques existantes sur le lien éventuel entre degré de protection des emplois et chômage. Sa conclusion : « Aucun consensus fort n’émerge véritablement », car « le sens comme l’ampleur estimée des effets de la protection de ­l’emploi sur les taux d’emploi et le chômage varient beaucoup d’une étude à l’autre ». En revanche, l’OCDE montre qu’une forte protection de l’emploi des travailleurs du « noyau dur » (CDI à temps plein) incite les entreprises à recourir davantage à des emplois précaires (CDD, intérim, faux indépendants…). 

Les règles qui rendent plus difficile le licenciement ne créent donc pas du chômage mais favorisent un plus grand dualisme sur le marché du travail. Vaut-il mieux avoir une majorité d’emplois stables et une minorité d’emplois très précaires, ou bien une précarité plus diffuse et généralisée ? C’est un choix politique : dans le premier type de société (Allemagne, France…), des bastions syndicaux peuvent survivre, alors qu’ils sont liquidés dans le deuxième type (Royaume-Uni, États-Unis…). On conçoit que le Medef ou l’Institut Montaigne préfèrent le second modèle, on ne voit pas d’autre explication au choix de messieurs Badinter et Lyon-Caen que ­l’ignorance.

Bien plus qu’à la flexibilité de leur marché du travail, le faible niveau de chômage enregistré actuellement dans ces deux pays tient au cocktail addictif et insoutenable que constituent des déficits budgétaires permanents et une création monétaire incessante, qui gonflent des bulles de dettes et de spéculation. Des paradis artificiels où une extrême instabilité s’accompagne du creusement d’extrêmes inégalités…

Certes, il pourrait être utile de simplifier le Code du travail pour qu’il soit plus lisible. Mais en espérer un boom ou même un frémissement des créations d’emplois est pure illusion. En réalité, la simplification se heurtera aux réalités (les entreprises et les salariés ont besoin de connaître les règles) et sera probablement marginale. Elle servira sans doute à raboter quelques droits au passage. Mais pour ceux qui nous gouvernent ou font semblant, la vraie finalité de tout ce tintamarre est ailleurs : faire croire, et se convaincre soi-même, qu’on agit sur le réel. Au moment où la crise chinoise, les craquements de la sphère financière et l’échec annoncé de la conférence climatique exposent l’impuissance de dirigeants totalement dépassés par un monde qu’ils ne comprennent ni ne maîtrisent, ce n’est peut-être pas un si mince bénéfice.  

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