Il est indispensable de ­distinguer clairement les réfugiés des autres catégories de migrants. Un habitant du Kosovo cherchant à rejoindre l’Allemagne par la Hongrie n’est pas un réfugié mais un migrant économique. À l’inverse, un réfugié est une personne fuyant un pays en guerre ouverte, comme la Syrie, et en route vers ­l’­Allemagne par exemple où elle pourra bénéficier légitimement du droit d’asile politique.

Les réfugiés sont sans doute plus nombreux en ce moment que les migrants à motivation économique (qui viennent des Balkans, de l’Afrique sahélienne, du Nigeria ou du Pakistan). Même si on peut s’interroger sur la validité de données relatives aux passages illégaux, car la Grèce n’a pas les capacités étatiques de procéder à leur enregistrement.

Nous sommes face à un phénomène durable, dès lors que 70 % des crises graves et des conflits ouverts en 2015 se situent dans un rayon de 3 à 6 heures de vol de Paris ou Bruxelles. C’est un fait. Tant qu’une solution politique n’aura pas été trouvée, agréée et imposée en Syrie (dont seuls 10 % des réfugiés vont vers l’Europe, la majorité étant en Jordanie, au Liban et en Turquie), en Irak et en Libye, les populations affectées continueront d’aspirer à un refuge. Il convient de s’inquiéter de notre indifférence relative vis-à-vis de ces crises graves dans notre voisinage proche.

L’échelle européenne est importante pour harmoniser les politiques d’asile, partager le fardeau des installations de réfugiés, sans nécessairement imposer des quotas. De fait, les réfugiés sont reçus et vivent dans seulement cinq États de l’Union européenne (Allemagne, Suède, Finlande, France, Italie).

Le gouvernement allemand vient de prendre trois décisions majeures : multiplier par quatre le nombre de demandes d’asile qui seront traitées en 2015, soit 800 000 ; cesser d’appliquer un règlement européen de 2003 (dit Dublin II) qui permettait de renvoyer le réfugié vers le premier pays d’entrée dans l’UE, soit la Grèce ou l’Italie ; attribuer des fonds fédéraux (1 milliard d’euros, puis 3) aux villes qui reçoivent et forment des réfugiés. Cet engagement est politique. Comme l’a souligné le président Joachim Gauck, l’Allemagne « éclairée » doit l’emporter sur l’Allemagne « sombre », xénophobe. L’accueil des réfugiés est un devoir d’humanité ; c’est également un combat politique. C’est à cette aune que l’on peut apprécier les réponses données dans chacun des 28 États membres de l’UE. 

Dans le cas des réfugiés syriens, nous serions bien avisés, sans ménager nos efforts diplomatiques, de penser à l’avenir et de former en Europe même une nouvelle génération qui aura la charge de reconstruire son pays en ruine. Cette politique de long terme vaut pour tous les pays en crise grave.

C’est un enjeu politique. « Fermeté » signifie fermeture. Le seul contrôle conduit à la sédentarisation des migrants en situation irrégulière. Hors les situations d’asile, la régulation des migrations économiques serait souhaitable dans le cadre d’un accord entre les pays de départ et ceux d’arrivée. Il s’agit de permettre la circulation et la mobilité. La Commission européenne raisonne en termes d’aide ciblée au développement, notamment au Niger, point de ralliement de nombreux candidats au départ. Les politiques migratoires relevant des États, il me paraît urgent de procéder à des expérimentations : passer des accords de co­­gestion entre États de départ et d’arrivée (avec des quotas de migrants, des contrats de formation, une meilleure gestion des transferts de fonds) pour réguler la migration circulaire et la mobilité dans les zones d’interaction migratoire ; dans les États d’arrivée, imaginer des « jumelages migratoires » entre villes, avec les concours financiers adéquats. Je suis convaincu que, vue de l’extérieur, l’Union européenne est de plus en plus attractive, par son économie et les valeurs qu’elle porte. Il y a bien, vu de l’ailleurs proche, un « rêve européen ». Surprenant, non ?

Mais l’Union européenne s’est bâtie en tournant le dos au passé, c’est-à-dire aux conflits, et en se préoccupant surtout de son édification interne (voir le temps disproportionné consacré par tous les responsables et experts européens à la question mineure de la dette grecque). Il lui faut apprendre et accepter de penser en termes géopolitiques, pas seulement moraux, c’est à dire en fonction de ses intérêts à long terme. Concrètement, être plus active dans la recherche de règlements diplomatiques, s’engager dans les stratégies de reconstruction pour demain et assumer politiquement le choix de l’ouverture raisonnée aux populations de ses périphéries. 

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