Dire que nous connaissons le mouvement de population le plus important depuis 1945, c’est largement excessif. Après 1975, la France a reçu des dizaines de milliers de Cambodgiens et de Vietnamiens. Mais c’était prévu, organisé avec la Croix-Rouge et le Haut Commissariat pour les réfugiés de l’ONU, à la grande différence de ce qu’il se passe aujourd’hui. Une décennie auparavant, il y a eu les retours postcoloniaux : l’arrivée des pieds-noirs, des harkis. Plus d’un million de personnes ont été accueillies. Aujourd’hui, la situation peut davantage être comparée au nombre d’entrées légales annuelles en France, environ 200 000 personnes.

De surcroît, la France est plutôt un pays de transit, ce qui n’est pas assez souligné. Les Syriens et les Érythréens qui viennent tentent de gagner l’Europe du Nord ou la Grande-Bretagne où il existe déjà des communautés importantes. Les autres sont tentés par l’Allemagne où ils pensent être mieux traités.

En résumé, le phénomène n’est pas inédit. Il n’y a pas plus de demandes en 2014 que lors du pic de 1989 et celui de 2003. Plus encore, seulement 14 000 personnes ont obtenu un statut de réfugiés en 2014, chiffre à comparer à celui des années 1980 : il n’y avait que 20 000 demandes par an mais un taux de refus presque nul…

Dans notre perception d’une « crise sans précédent », les médias jouent un rôle, mais je parlerais davantage d’une construction politique qui n’est jamais documentée par les chiffres. Des discours sans nuances, des données statistiques faussées sont diffusés. Ce sont les déclarations officielles de l’Élysée, de Matignon et du ministère de l’Intérieur qui participent à cette vision. Les images assez frappantes de foules passant les frontières hongroise ou macédonienne y contribuent aussi.

Or, de mon point de vue, ces gens-là sont une chance. La dernière grande vague de réfugiés que la France a connue a été une réussite d’intégration : les Vietnamiens et les Cambodgiens. Celles des années 1930 font complétement partie du paysage et de la nation française maintenant. L’Immigration, une chance pour la France, c’est le titre d’un livre de Bernard Stasi paru en 1984, au tout début de la montée du Front national. Oui, on sait qu’il existe des besoins de main-d’œuvre et que les personnes qui fuient leurs pays en guerre sont très motivées pour construire leur nouvelle vie. Dans l’ensemble, ce sont des gens éduqués. Avez-vous remarqué qu’ils parlent parfaitement l’anglais ? Ne pas vouloir les intégrer, les accepter, tenir un discours de « fermeté », c’est une erreur politique.

Il faut que la France assume avec l’Allemagne, qui se montre plus ouverte, un rôle moteur dans cette crise en se calant sur les positions allemandes. Il faut en finir avec les règles de Dublin consistant à renvoyer les migrants dans les pays de l’Europe du Sud qui sont incapables de s’en occuper. 

Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, a déclaré que nous allions ouvrir 1 000 places supplémentaires. Il faut faire davantage et permettre à ces demandeurs d’asile d’avoir accès au marché du travail. Ne pas les mettre à part. Aujourd’hui, on leur donne un pécule et on les met sous ­cloche. Il faut revenir sur cette politique nocive à double titre : elle est coûteuse pour l’État et elle empêche les demandeurs d’asile de s’intégrer. En Allemagne, le Parlement a voté une loi en 2014 permettant aux demandeurs d’asile de travailler après trois mois sur le territoire. En France le demandeur doit attendre un an et un contrat de travail pour demander une autorisation de travail. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !