Le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve s’est récemment félicité des progrès réalisés par ses services dans la lutte contre l’immigration clandestine. Selon les chiffres du ministère, 226 filières ont été démantelées en 2014. Record historique, ce chiffre marque une progression de 11 % par rapport à 2013 (203 filières démantelées) et de 27 % par rapport à 2012 (178). Ces indicateurs sont repris parmi les « 10 chiffres qui vont vous surprendre sur l’immigration en France » du site gouvernement.fr, qui les présente comme la preuve que « la France est efficace contre les filières qui tentent d’exploiter la misère humaine à des fins marchandes ».

Cette interprétation pose néanmoins plus question qu’il n’y paraît. Ces statistiques, comme de nombreux indicateurs élaborés pour le suivi de la criminalité, ont la particularité de porter sur des objets en temps normaux invisibles, en partie révélés par l’activité des agents chargés de les réprimer. Leur dénombrement dépend ainsi tout autant de leur fréquence réelle que de l’intensité avec laquelle ces agents luttent contre eux et contribuent donc à les mettre en lumière. Dans le cas des filières d’immigration clandestine, dans quelle mesure la croissance du nombre de démantèlements est-elle le signe de l’efficacité de la lutte ou de la démultiplication de ces filières ? Forçons le trait et imaginons que le nombre réel (mais inconnu) de ces filières ait augmenté de 20 % entre 2013 et 2014 : cette croissance de 11 % du nombre de filières démantelées serait au contraire le constat d’un échec.

On peut enfin s’interroger sur la pertinence du raisonnement conduisant à interpréter cette hausse comme un marqueur d’efficacité : n’est-elle pas également le signe de l’incapacité de notre nation et de l’Europe à lutter contre les désordres géopolitiques mondiaux qui jettent cette foule sur les routes de l’exode ? Ce benchmark – terme consacré dans la novlangue managériale en vogue pour désigner un point de référence – est un excellent exemple de la profonde ambiguïté que véhiculent ces indicateurs malgré l’apparente évidence de leur objectivité. 

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