Avachi sur son lit, une guitare électrique violette entre les mains, Jésus braille son désespoir. Une première scène loufoque, typique de la célèbre série télévisée d’animation bro’Town, diffusée en Nouvelle-Zélande entre 2004 et 2009. « Jésus ? On a voulu le représenter comme un enfant unique, pourri gâté », explique la réalisatrice néo-zélandaise Elizabeth Mitchell, amusée. La satire est osée : là-bas, le christianisme est la religion dominante. Mais les téléspectateurs raffolent du feuilleton. 

On y découvre le quotidien d’une bande d’adolescents : Vale et Valea, Sione, Jeff da Maori et Mack. La particularité ? Sur les cinq, les trois premiers sont d’origine samoane. « C’est la première série qui décrit le contexte dans lequel j’ai grandi », témoigne Kieran Giles, la vingtaine, fan depuis ses 13 ans. Et pour cause : Auckland est la ville où réside le plus grand nombre de Samoans, Samoa comprise ! Pourtant, jusqu’à la diffusion de bro’Town, pas de trace de ces immigrés à l’écran. Les programmes véhiculaient une réalité lointaine ; le « politiquement correct » voulait aussi que l’on évite de pointer du doigt les nouveaux venus… Avec bro’Town, ces derniers deviennent des héros. 

« On est les premiers à avoir valorisé les Samoans », constate la réalisatrice. Jouer les premiers rôles et devenir célèbres : voilà qui marque la reconnaissance de la deuxième génération d’immigrés des îles Samoa en Nouvelle-Zélande. Des acteurs de la même communauté donnent leur voix aux personnages animés, on entend les jeunes parler leur langue. Effet de réel garanti. D’ailleurs, le titre de la série est un clin d’œil à l’expression « bro » (frère), courante chez les Polynésiens et adoptée par les Néo-zélandais. Auckland devient bro’Town, la ville des frères, des Polynésiens… et du hip hop. Car si, aux Samoa, ce genre musical ne peut se développer faute de tissu urbain, Vale, Valea et Sione sont nés à Auckland et représentent une sous-culture forte. « Nos personnages sont des modèles pour les jeunes ! », se félicite Elizabeth Mitchell. 

Les auteurs, eux aussi d’origine samoane, ne sont pourtant pas tendres avec leurs protagonistes. Les Samoans seraient bigots, les parents violents, les enfants cancres… Les quatre comiques appuient là où l’opinion a mal. Pepelo (« menteur » en samoan), le personnage favori des téléspectateurs, joue l’ivrogne de la série, un fainéant qui vit d’allocations. À plusieurs reprises, les services sociaux, incarnés par une dame blanche hystérique, lui confisquent ses fils. L’occasion pour une foule, d’ordinaire indifférente au quotidien des classes populaires samoanes, d’incriminer Pepelo et de demander le départ des immigrés. Dieu intervient à temps. 

Elizabeth Mitchell se rappelle : « La négligence des parents est un des sujets les plus controversés qu’on ait abordé ». Une caricature choquante ? Apparemment non. « Les rares critiques proviennent de Blancs qui se disent indignés à la place des Polynésiens, mais on n’a jamais eu de problème avec les communautés en question. » Pourtant, la série amplifie les différences et attaque les préjugés. Lorsque le principal de l’école est arrêté à tort pour viol, c’est un pan de la culture polynésienne qui est visé. Car ce principal est fa’afafine, un concept typiquement samoan pour désigner les hommes transgenres. Dans l’épisode, la foule demande sa pendaison… Des scènes qui peuvent choquer, surtout les plus jeunes. La série, destinée au grand public, est diffusée à 20 heures. 

Mais c’est le rire qui l’emporte. Une clownerie propre à l’humour samoan, même s’il a des limites. « L’archipel a refusé de diffuser bro’Town à cause de la représentation de Dieu et Jésus », explique la réalisatrice. Too bad

 

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