Les français connaissent mal l’état réel de leur économie. On leur demande des sacrifices alors qu’on leur avait promis d’améliorer leur sort. Ils ne comprennent pas ce revirement et ont tendance, tant leurs inquiétudes sont grandes, à noircir un tableau qui n’est pas si sombre. C’est un déni de réalité. Mais ils connaissent encore plus mal l’état réel du monde qui nous entoure.

Les États-Unis d’abord.

La première puissance mondiale s’interroge. De tous ses engagements extérieurs (Irak, Afghanistan, Syrie), que reste-t-il sinon des déboires : l’Irak au bord de la guerre civile, déchiré par les affrontements religieux entre sunnites et chiites ; l’Afghanistan largement contrôlé par les talibans ; la Syrie où les combats meurtriers se poursuivent avec la complicité d’une Russie aux aguets ; Israël où les chances de paix s’envolent un peu plus chaque jour.

Alors les américains reviennent progressivement à leurs vieux réflexes isolationnistes. Et si leurs regards se tournent encore vers l’extérieur, c’est plutôt vers la Chine, seule capable de leur disputer la suprématie mondiale. De plus en plus pragmatiques et isolationnistes, ils n’ont plus l’envie, ni peut-être les moyens, d’être les gendarmes du monde. 

Après les États-Unis, regardons justement du côté de la Chine. Sa croissance forte lui donne des ailes. Elle tend à dominer le Sud-Est asiatique, se montre belliqueuse à l’égard du Japon et affirme un nationalisme d’autant plus sourcilleux qu’il doit faire oublier que le partage des richesses n’est pas pour demain.

Et maintenant du côté de la Russie. Poutine, avec les méthodes d’un autocrate formé dans les rangs du KGB, rêve de reconstituer la Grande Russie et s’y emploie avec vigueur et violence s’il le faut, à l’égard de ses populations périphériques. Poutine, qui craint peu l’Europe divisée ou les États-Unis lointains, et redevient populaire en redonnant une fierté perdue à son peuple. 

Alors l’Europe face à un monde qui se cristallise en bloc, l’Europe ferait seule exception. Elle seule n’aurait plus confiance en elle quand le monde entier nous envie cette formidable construction de l’après-guerre qui nous a assuré la paix depuis plus d’un demi-siècle et un modèle social qui n’existe nulle part ailleurs. Face à ces réalités, l’euro-phobie paraît absurde. En réalité, l’Union -européenne sert de bouc émissaire à tous les maux qui nous accablent, alors que nous récoltons les fruits d’un laxisme qui perdure depuis trois décennies. Pour la France, qui n’est plus le grand pays dont elle rêve encore, l’Europe est indispensable. Pour l’Europe, la France est tout autant nécessaire : elle fut l’instigatrice des plans Monnet et Schuman à l’origine de la Communauté européenne du charbon et de l’acier.

Le couple franco-allemand a été le moteur de cette construction. De la part de la France, jouer l’Europe du Sud contre l’Allemagne a été une erreur majeure dont elle tarde à se remettre. 

Pour l’Europe de demain, dont l’image dépendra du vote du 25 mai, l’important n’est pas aujourd’hui les règles nouvelles dont elle se dotera. L’essentiel à ce jour est d’y croire envers et contre tout pour cette simple et unique raison qu’il n’y a pas d’autre issue. Cessons d’accorder tant d’importance à une Marine qui se prend pour Jeanne d’Arc ou à un Mélenchon qui se prend pour Lénine, cessons d’écouter les chevaliers de l’Apocalypse en mal de publicité. L’Europe, c’est 500 millions d’habitants, beaucoup plus que les États-Unis. C’est 20 % de l’économie mondiale. L’Europe, c’est une histoire, de Victor Hugo à Stephan Zweig en passant par Goethe et Schiller, qu’hélas une grande partie de notre jeunesse ignore ou a oubliée.

Il y a plus d’affinités entre parisiens et viennois qu’entre parisiens et habitants d’Oklahoma City. Oui, bien sûr, il y a des différences, mais n’y en a t-il pas entre Lyonnais et Bretons – ce qui ne les empêche pas de vivre dans un espace commun avec une histoire commune. Il en va de même pour l’Europe. Faute d’amour, qu’il y ait au moins une adhésion de raison. L’Europe c’est aussi et surtout l’économie sociale de marché, un modèle social unique que le monde nous envie. 

Aujourd’hui, les partis de gouvernement qui se disent europhiles ne sont même pas capables de parler d’une seule voix. Chacun, à droite comme à gauche, fait entendre sa petite musique, reflet d’ambitions personnelles, qui n’intéresse personne. Alors faisons un rêve. Dès le 26 mai, il n’y aura plus d’échéance électorale à court terme et la terre ne se sera pas écroulée. Nos difficultés d’hier seront les mêmes demain. Mais imaginons que des hommes de gauche et de droite, responsables et courageux, se regroupent pour réfléchir ensemble aux priorités qu’il faudra fixer à la nouvelle équipe dirigeante :
– l’énergie, point fondamental de l’économie (erreur de choix en Allemagne qui est devenue le plus grand pollueur) ;
– la monnaie dont dépend notre stabilité, ainsi qu’une réduction des écarts entre les différents systèmes économiques et sociaux (fiscalité, durée du travail), à défaut de pouvoir les aligner.

L’Europe aurait alors une vision d’avenir et nos jeunes seraient moins tentés d’aller voir ailleurs. Et en même temps, mobilisons-nous encore pour rappeler ces données incontournables. L’Europe a besoin de la France comme la France a besoin de l’Europe, première puissance commerciale avec ses 500 millions d’habitants, son PIB supérieur à celui des États-Unis et son immense marché. 

Ressassons ces chiffres et clamons haut et fort les règles de la raison. 

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