En France, le Panama reste indissolublement lié au scandale du même nom. Une affaire qui ébranla profondément la IIIe République sur fond de ruine de centaines de milliers de petits porteurs. Le scandale du Panama est avant tout une affaire franco-française.

Les Français ont été les premiers à creuser le canal. En 1879, le congrès de Paris choisit la route du Panama. Le comte Ferdinand de Lesseps, charismatique promoteur du canal de Suez, lance alors la Compagnie universelle du canal inter­océanique de Panama, calquée sur celle de Suez. L’introduction en Bourse est un succès. Entre 1880 et 1888, 800 000 Français investissent plus de 1,2 milliard de francs dans le canal.

Un travail phénoménal est réalisé : études, défrichement en pleine jungle, mise en place de villes nouvelles, emploi d’excavateurs à vapeur. Les obstacles sont nombreux : climat tropical humide, fièvre jaune et paludisme, tourmentes tropicales, révolutions... Plus de 6 000 terrassiers trouvent la mort. Partis initialement pour creuser au niveau de la mer, les Français optent ensuite pour un étroit canal avec des écluses signées Gustave Eiffel. En 1888, l’ouverture du canal est en vue et le chantier avance à bon train.

La compagnie manque d’argent et de Lesseps utilise la technique qui lui a permis d’achever le canal de Suez : une émission de bons à lots, à la fois obligations et tickets de loterie. Le jeu d’argent requiert l’aval de l’Assemblée nationale. Une commission parlementaire recommande l’émission de ces bons, laquelle est ensuite adoptée en séance plénière. Un grand nombre de députés ont reçu des pots-de-vin. La corruption s’est étendue à toutes sortes d’élus, à des ministres et à des journalistes. Tous ont reçu des chèques et deviendront, devant l’histoire, les « chéquards ». L’émission des bons à lots a lieu mi-1888 et plus de 400 000 Français répondent à l’appel. Mais ce n’est pas assez pour les banques qui lâchent la compagnie. La banqueroute est déclarée en février 1889.

Le 21 novembre 1892, on apprend le suicide de Jacques de Reinach, directeur financier de la compagnie. La veille au soir, il était allé rendre visite au brasseur d’affaires Cornelius Herz en compagnie de Georges Clemenceau. Depuis plusieurs mois, la gazette antisémite La Libre Parole l’accablait et répandait sur lui un mélange d’informations et de calomnies. Le boulangiste Jules Delahaye hurle : « Trois millions de francs ont été distribués à cent cinquante députés corrompus. Si vous voulez des noms, demandez une commission d’enquête ! » Le gouvernement d’Émile Loubet, surnommé « Panama Ier », chute alors que Paris connaît des manifestations violentes.

En guise de justice, on organise à la va-vite deux procès. L’un juge les « panamistes », les responsables de la compagnie et leurs associés. Eiffel et de Lesseps sont condamnés, mais le jugement est cassé peu après. Devant les assises comparaissent les « ­chéquards », corrompus et corrupteurs du scandale politique. Depuis l’Angleterre, l’escroc Herz distille des informations brûlantes. Là encore, le procès tourne court. L’unique homme politique condamné, Charles Baïhaut, est le seul qui a reconnu avoir touché de l’argent.

L’affaire du Panama est révélatrice du climat opportuniste et délétère de la République française. Au siècle suivant, les années 1880-1890 seront vues comme le paroxysme de l’affairisme politique. Élus, banquiers et voyous s’enrichissent sans vergogne en bonne intelligence. Le peuple, lui, se divise sur des polémiques stériles. 

Pendant ce temps-là, au Panama, des travaux impressionnants ont été réalisés. De telle sorte qu’en 1902, les États-Unis renoncent au canal du Nicaragua pour terminer celui du Panama, inauguré en 1914. Entaché par le scandale, l’effort français au Panama sombre dans l’oubli. Aujourd’hui, il est temps d’être fier du rôle pionnier joué par les Français dans l’isthme. 

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