La ligne mythique Djibouti – Addis-Abeba renaît de ses cendres. Cette liaison historique qui fonctionnait de façon chaotique jusqu’en 2010 a été rétablie. Un nouveau chemin de fer électrifié, long de 752 km, devrait permettre de relier les deux capitales en sept heures, contre deux jours de route sur des pistes accidentées et encombrées par la circulation. La mise en service de la ligne, avant tout dédiée au fret, est prévue pour 2016. Cet équipement permettra de renforcer les positions stratégiques des deux pays. L’Éthiopie, avec son million de kilomètres carrés, ses 93 millions d’habitants et son taux de croissance de 10 % a besoin d’un débouché maritime plus facilement accessible. Depuis la guerre qui l’opposa à l’Érythrée (1998), elle n’a plus accès au port d’Assab. Quant au port de Berbera en Somalie, il est aujourd’hui très endommagé. Et le pays connaît une situation politique trouble. Le seul port en eaux profondes à sa portée est donc celui de Djibouti. Mais ce lien est tout aussi vital pour la petite république : ­l’Éthiopie est le principal client de ses installations portuaires. 90 % des importations éthiopiennes transitent par Djibouti. « Il existe une interdépendance très forte entre les deux pays. La plus grande richesse de Djibouti provient du contrôle du commerce avec l’Éthiopie », observe l’historien Simon Imbert-Vier. 

Djibouti se rêve comme un grand hub portuaire régional. Le pays ambitionne de devenir la principale voie d’entrée commerciale en Afrique orientale. Et le gouvernement entend développer les importations asiatiques. Ce n’est donc pas un hasard si le projet a été confié à une entreprise chinoise : la China Civil Engineering Construction Corporation. Une aubaine pour le géant asiatique qui souhaite renforcer sa présence en Afrique. Mais l’ambition sino-djiboutienne ne s’arrête pas là. On parle d’un maillage ferroviaire de 5 000 km qui relierait le Kenya, le Soudan du Sud et le Soudan. Djibouti souhaite se doter de six nouveaux ports et de deux aéroports internationaux. Une multinationale chinoise serait chargée de ces ­chantiers.

L’aventure du chemin de fer djibouto-éthiopien commence en 1897. Construite par les Français et inaugurée en 1917, la liaison historique a mis vingt ans à voir le jour. « Il s’agit avant tout d’un rêve colonial français sur l’Éthiopie qui n’avait pas été colonisée par les Européens », souligne Simon Imbert-Vier. La France, qui règne alors sur le golfe de Tadjourah depuis la Côte française des Somalis, espère avoir, grâce au chemin de fer, accès aux matières premières de l’Éthiopie. L’année 1938 marque l’âge d’or du train. Mais rapidement, ce dernier devient insuffisant. En 1950, il est concurrencé par la création de la route qui relie Assab à Addis-Abeba. Mais surtout, sa capacité de transport de marchandises est limitée. D’autant qu’il est construit à l’économie : rails de mauvaise qualité, locomotives peu performantes, problèmes techniques. Il s’illustre par sa faible efficacité. Il faut alors compter quatre à six jours pour rejoindre la capitale éthiopienne dans des convois vétustes, sur une voie d’un mètre de large. 

Avec sa modeste vitesse de pointe de 40 km/h, le train chargé de café, peaux et voyageurs traversait les déserts arides du pays afar. Puis, il s’élançait à l’assaut de la « Suisse africaine », les hauts plateaux fertiles d’Abyssinie dont il fallait franchir les contreforts. Un itinéraire spectaculaire. Tout au long de la ligne, de nombreux ouvrages d’art – notamment un viaduc construit par Eiffel – corrigeait le relief accidenté. Le photographe Hugues Fontaine a immortalisé les dernières heures de la ligne en 2010, à Dirédaoua en Éthiopie. Les ouvriers étaient au chômage technique car les pluies avaient emporté des ponts. Ultime diversion nostalgique : une halte au buffet de la gare d’Awash, à la lisière de la ligne désaffectée où officiait jusqu’en avril Madame Kiki, une Grecque de 84 ans devenue la garante de cette histoire ferroviaire.  

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