Quel est le pouvoir du pape ?

C’est un médiateur qui veut participer à la paix et maintenir la présence catholique dans le monde. La médiation opérée par Jean XXIII au moment de la crise des missiles de Cuba en 1962 entre l’URSS et les États-Unis constitue, au xxe siècle, le meilleur symbole de son poids diplomatique. Les papes voyagent depuis Paul VI (1963-1978). L’historien Émile Poulat a pu dire que la papauté était « le troisième Grand » lors de la guerre froide. Aujourd’hui, les papes sont reçus et parlent à l’ONU ; ils ont un ambassadeur à l’Unesco. Le pape ­s’exprime sur les conflits au Proche-Orient, sur l’Afrique.Sa parole est sollicitée, entendue, pas toujours écoutée. Mais elle sert de référence. 

Quel a été le pape le plus influent sur la scène inter­nationale ?

Jean-Paul II. Il a fait trois fois le voyage de la Terre à la Lune, promené son image et projeté sa mission dans de nombreux pays. Sans parler de son invention géniale des JMJ (Journées mondiales de la jeunesse) qui drainent des millions de jeunes chrétiens et souvent des non-chrétiens.

Sur quoi s’appuie sa diplomatie, outre les voyages ?

Il a un réseau important de nonciatures, l’équivalent des ambassades, et signe des concordats qui traitent de la vie de l’Église dans chaque pays. Je pense qu’avec le FBI et la CIA, le pape est l’homme le mieux renseigné du monde, grâce notamment aux confessions et aux confidences. 

Le pape a-t-il toujours été perçu comme une figure ­de la paix ?

Non, c’est une image contemporaine. Le pape a déjà fait la guerre ; il gagne la bataille de Lépante contre les Turcs en 1571. C’est alors un chef d’État qui défend son territoire avec ses armées. En 1870, il perdra ses terres lors de la prise de Rome. Il prend ensuite le titre de « chef de l’État de la Cité du Vatican » et son pouvoir devient symbolique. Il incarne la paix, le désir d’apaisement et ce qu’on peut appeler la conversion des cœurs... Le chancelier prussien Bismarck est le premier à se rendre compte de sa puissance de médiation.

Pour quelle efficacité ?

Il est parfois impuissant : il n’a pas empêché la Première Guerre mondiale ni la Seconde. Il n’a pas réussi à engager le dialogue en Syrie. 

On parle souvent de l’inaction du pape lors de la Shoah. 

On lui reproche de ne pas avoir poussé un cri qui aurait dénoncé au monde entier le caractère épouvantable de ce génocide, d’avoir aidé des nazis à s’enfuir vers l’Amérique latine... En fait, le pape a surtout eu le souci d’éviter le massacre des chrétiens. Peut-être aurait-il dû prendre le risque de la persécution des catholiques. Lorsque Pie XI signe un concordat en 1933 avec l’Allemagne nazie, il a l’illusion d’assurer la protection de ses fidèles. Ce concordat fut piétiné ; celui signé en 1929 avec l’Italie a davantage fonctionné. Ceci dit, il en savait moins que Churchill et Roosevelt. 

Le 13 mai 2015, le pape a annoncé un accord futur concernant le fonctionnement de l’Église dans « l’État de Palestine ». Quelle signification donner à ces mots ?

C’est une façon d’agir en tant qu’arbitre sur une terre qui porte le nom de Palestine, mais qui s’appelle également la « Terre sainte » pour les chrétiens. Le fait que le pape, lui aussi, soutienne l’existence de deux États a un poids considérable, car sa parole est désintéressée, donc plus forte. Le pape n’a pas d’intérêts territoriaux ou financiers… C’est une parole historique, presque évangélique. 

Jusqu’à un concordat avec la Palestine ?

Cela m’étonnerait. Son but n’est pas de fâcher Israël – qu’il reconnaît de jure depuis 1984, mais avec lequel il n’a pas signé de concordat.

Observez-vous un changement d’attitude diplomatique des papes au fil des années ? 

Dans l’entre-deux-guerres, le pape a condamné tous les régimes totalitaires. C’était le temps des grandes encycliques des années 1930. Mais depuis Vatican II, il n’y a plus de condamnation, seulement des remarques. On est passé du temps de l’excommunication au temps de l’effort de compréhension. 

Quelle relation la France entretient-elle avec l’actuel pape ? 

J’ai été très étonné de la non-venue du pape à Paris alors qu’il se rendait à Strasbourg au Parlement européen. Le pape François ne sent pas la France : il est de culture italo-argentine et considère que notre pays va à rebours de tout ce qu’il défend d’un point de vue moral. Le mariage pour tous en est l’exemple le plus frappant. Mais d’un point de vue diplomatique, l’Église et la France se rejoignent. Le pape soutient l’intervention au Mali et la lutte contre les djihadistes. 

Propos recueillis par Clara WRIGHT

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