S’il n’y avait le miel, ­parlerait-on autant des abeilles ? Non ! C’est le miel que nous chassons, c’est le miel qui nous captive. Tout petits, déjà très gourmands, nous fantasmons sur ces lingots de nectar dégoulinant des tartines ; nous nous rêvons endormis avec une fiasque du précieux liquide serrée contre le cœur. Les adultes nous lisent des histoires d’oursons qui le boivent au biberon. Le miel, principal paradis du plaisir gustatif… De Prosper youpla boum, le roi du pain d’épices, à Winnie l’Ourson, nous naviguons sur une mer emmiellée : une orgie de glucose traitée, affinée, pasteurisée… un sirop suave. Halte-là !

Oublions les miels de nos enfances, ces pots de plastique collants d’où s’échappent des liquides d’un jaune pisseux uniforme. Oublions ces pains d’épices sans saveur. Ce n’était que du sucre… Ce n’était que du miel beau et con à la fois. Un jour, un ami pousse vers vous une verrine de vrai miel d’abeilles, un miel mitonné par un vrai apiculteur. Du bio ? Allez savoir ! Qui va fliquer et verbaliser les butineuses ? Non, plus sérieusement, vous voilà devant un miel d’anthologie, âpre, sévère, sombre même, raboteux, dur au palais. À la première dégustation, vous avez un sursaut. Ce miel vous tient à distance, il a du répondant et force le respect. Alors vous comprenez que c’est votre premier miel, que vous n’aviez jusqu’alors rencontré que des miels de fortune, des miels factices et mièvres. Celui-là vient d’Ardèche. C’est un miel de châtaignier, charnu. Il cogne dur et exprime pour vous une forme ­d’amertume.  

 

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