Début août, Tom Hayes sera fixé sur son sort. Cet homme de 35 ans, aux allures de gendre idéal, ancien trader chez UBS et Citigroup, comparaît depuis le 26 mai devant la justice britannique, dans le cadre du scandale de la manipulation présumée du Libor (London Interbank Offered Rate), le taux interbancaire de référence à Londres. Un scandale qui défraie la chronique depuis trois ans et qui a déjà donné lieu à un total de 9 milliards de dollars (8,25 milliards d’euros) d’amendes, infligées par les autorités de régulation et par les institutions judiciaires – notamment britanniques et américaines – aux banques impliquées. Parmi celles-ci figurent les Britanniques Barclays, la Royal Bank of Scotland (RBS), la Suisse UBS, la Néerlandaise Rabobank ou bien encore l’Allemande Deutsche Bank. 

Tom Hayes, qui risque jusqu’à dix ans de prison, est la première personne physique à faire les frais d’un procès dans ce dossier du Libor. Mais il n’essuiera pas les plâtres longtemps : une vingtaine d’autres traders sont dans le collimateur des autorités judiciaires au Royaume-Uni et aux États-Unis, les deux plus importants centres financiers du monde, et devraient à leur tour passer devant les tribunaux d’ici à la fin de l’année. 

Qu’est-il reproché exactement à ces courtiers et à leurs employeurs ? Un rappel des faits s’impose. Le scandale du Libor avait éclaté en 2012, lorsque Barclays avait confessé devoir payer 290 millions de livres pour mettre fin à des enquêtes du Royaume-Uni et des États-Unis sur une manipulation présumée du Libor. Ce taux d’intérêt, décliné en plusieurs monnaies et maturités – le plus courant étant le taux d’emprunt de dollars à trois mois –, correspond à la moyenne des taux auxquels les plus grandes banques internationales se prêtent de l’argent entre elles. Il sert de référence aux taux de pas moins de 450 000 milliards de dollars de contrats financiers dans le monde, des produits dérivés les plus sophistiqués aux produits financiers les plus classiques, qu’il s’agisse de crédits aux entreprises, de prêts immobiliers, de crédits à la consommation, de prêts étudiants ou de comptes épargne. 

Malgré son importance pour l’ensemble de l’économie, le Libor, jusqu’à sa récente réforme, était fixé de façon simplissime : chaque jour, à 11 heures, heure de Londres, un panel de 16 banques – composé notamment de Barclays, HSBC, RBS, Deutsche Bank, UBS, JP Morgan, Citigroup, Bank of America, Société générale – communiquaient par téléphone à l’Association des banquiers britanniques (BBA) le taux auquel elles estimaient pouvoir emprunter de l’argent auprès de leurs concurrentes. La BBA écartait d’entrée de jeu les quatre estimations les plus hautes, ainsi que les quatre les plus basses, et déterminait le niveau du Libor en faisant la moyenne des huit estimations restantes.

On l’a vu, nombre de produits dérivés sont indexés sur le Libor. Entre 2005 et 2010, certains traders spécialisés dans le courtage de ces produits dérivés n’ont donc pas hésité à faire pression sur leurs collègues chargés du « coup de fil de 11 heures » à la BBA pour que ceux-ci communiquent à l’Association des banquiers britanniques des taux surestimés, afin de gonfler artificiellement le Libor. Et, partant, d’augmenter la marge des banques sur les produits dérivés en question, ainsi que, par ricochet, les rémunérations variables des traders.

 « M. Hayes a ainsi pu élever les profits de ses employeurs dans le but d’obtenir de meilleurs bonus pour lui-même », a sifflé le procureur Mukul Chawla, mardi 26 mai, à l’ouverture du procès de Tom Hayes devant le tribunal de Southwark, à Londres. Pour ce faire, et compte tenu du mode de calcul du Libor, basé sur la moyenne de huit estimations, les traders d’une banque donnée devaient impérativement s’entendre avec leurs homologues d’autres établissements : impossible, en effet, pour une seule banque, d’influencer le Libor. C’est exactement ce que reproche l’Office britannique de lutte contre la délinquance financière à Tom Hayes, accusé d’avoir organisé de septembre 2006 à septembre 2010 un système d’entente avec d’autres traders d’UBS et de Citigroup, mais également d’autres banques, afin d’influencer à leur avantage le niveau du Libor. 

Au-delà de la manipulation du taux interbancaire de référence, les banques se sont donc rendues coupables de collusion alors qu’elles sont censées se faire concurrence. Les banques ou leurs traders. En acceptant de régler un total de 9 milliards de dollars d’amendes, elles obtiennent d’échapper à de longs procès potentiellement désastreux pour leur réputation et leurs finances et, surtout, à des poursuites pénales. Poussés par leurs actionnaires, certains dirigeants ont été contraints de démissionner comme les deux patrons de la Deutsche Bank, il y a une semaine, après avoir accepté de plaider coupable et de payer une amende de 2,5 milliards.

Un autre type de manipulation du Libor est devenu très courant après la crise financière de 2008, qui avait vu les banques se défier les unes des autres en raison de leurs problèmes de liquidité et de solvabilité respectifs. Une défiance qui avait engendré une hausse des taux auxquels les banques se prêtaient entre elles. Dans ce contexte, et puisque les taux communiqués par les établissements à l’Association des banquiers britanniques sont publics, il était tentant pour les banques en situation fragile de sous-estimer auprès de la BBA le taux auquel elles pensaient pouvoir emprunter auprès de leurs rivales. Ce faisant, elles donnaient ainsi une fausse bonne image de leur situation financière, ce qui leur permettait de continuer à emprunter à des taux bas. Des faits suffisamment graves pour que le Royaume-Uni ait récemment renforcé sa législation, laquelle prévoit désormais des peines de prison pour les banquiers coupables de manipulation des marchés financiers. Une révolution, pour laquelle le procès de Tom Hayes aura valeur de test. 

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