Entre 5 000 et 10 000 cancers d’origine professionnelle par an. Tels sont les chiffres de la part attribuable aux expositions professionnelles d’un certain nombre de cancers, retenus par l’Institut de veille sanitaire (InVS) dans sa dernière estimation, publiée fin 2014. Poumon, larynx, vessie, rein, foie, sang sont les organes cibles des produits toxiques présents sur les lieux de travail, des rayonnements ionisants ou de certains modes d’organisation du travail, comme le travail de nuit. 

Quand on évoque cette question des cancers du travail, on pense spontanément à la catastrophe sanitaire de l’amiante, la plus importante affaire de santé publique que notre pays ait connue et qui, selon les prévisions des épidémiologistes, devrait être responsable de plus de 100 000 morts au total en France. La majorité des victimes de l’amiante ont été contaminées sur les lieux de travail. Et si l’amiante a été interdit en 1997, le problème n’est pas réglé pour autant. Les 80 kilos d’amiante par habitant qui ont été importés en France sont toujours là, et aujourd’hui encore des travailleurs sont exposés sans le savoir parce qu’ils interviennent sans précaution sur des structures qui en contiennent encore. 

Mais l’amiante est un peu l’arbre qui cache la forêt. Ainsi, toujours selon les chiffres de l’InVS, entre 2 et 9 % des cancers du poumon et du larynx seraient liés à une exposition à la silice ; entre 90 et 300 cas de cancers du rein seraient liés à une exposition au trichloréthylène ; entre 200 et 660 cas de cancers des voies aérodigestives supérieures seraient provoqués par le ciment ; de 2 à 28 % des leucémies seraient dues au benzène. Dans une autre étude, plus ancienne, l’InVS estimait également que l’incidence des cancers de la vessie liés aux amines aromatiques et aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) pouvait atteindre près de 1 000 cas par an.

À cette liste sinistre, il convient d’ajouter d’autres cancers pour lesquels on ne dispose pas de chiffres, comme les cancers du sein liés au travail de nuit (qui, en perturbant les rythmes biologiques, ferait monter de 30 % le risque), ceux liés aux pesticides, et peut-être demain à certains nanomatériaux. Au total, selon les résultats de l’édition 2010 de l’enquête nationale Sumer (Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels), deux millions de salariés sont exposés à au moins un produit cancérogène sur leurs lieux de travail, notamment de jeunes ouvriers en contrat précaire dans les secteurs de la maintenance et du bâtiment.

L’une des difficultés majeures pour faire face aux cancers professionnels, c’est le temps de latence qui s’écoule entre l’exposition et l’apparition de la maladie. Environ trente ou quarante ans dans le cas du mésothéliome pleural (cancer de la plèvre, l’enveloppe des poumons) ou du cancer broncho-pulmonaire entraîné par une exposition à l’amiante. Beaucoup de victimes du cancer ne savent pas qu’elles ont été exposées à un matériau cancérogène et ne font pas le lien entre la maladie et leurs conditions de travail passées. La conséquence en est une invisibilité des cancers professionnels : le nombre de cancers reconnus comme maladies professionnelles par la Sécurité sociale ne dépasse pas les 1 700 cas par an dont 1 500 dus à la seule exposition à l’amiante. L’écart est donc considérable avec la réalité.

Du côté de la prévention, la catastrophe de l’amiante a fait faire des progrès à la réglementation, avec l’obligation d’évaluation des risques, les décrets sur la prévention des expositions aux produits chimiques et aux produits CMR (cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques). La substitution de produits cancérogènes par d’autres produits moins toxiques est une obligation et, quand celle-ci n’est pas possible, l’entreprise doit mettre en œuvre des systèmes d’aspiration des fumées ou des poussières sur les postes de travail ou encore des équipements de protection individuelle adaptés. Les outils réglementaires existent donc, mais leur application concrète, sur le terrain, reste très aléatoire.

Soustraire des salariés aux expositions, réduire le temps d’exposition, repenser l’organisation du travail, associer les salariés le plus étroitement possible à la prévention des expositions, prendre en compte l’effet potentialisateur des « cocktails » de produits sont autant de pistes à explorer pour endiguer ce problème de santé publique.  

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