Il est temps pour le cinéma de revenir non pas à plus de réalité, mais à plus de vérité. Le contraire des blockbusters ! Ma petite philosophie à moi : l’univers c’est le mouvement. Toute fixité est criminelle, ou dangereuse, ou fausse. Au fond, c’est ça, le cinéma. Les frères ­Lumière, c’est quoi ? On pose une caméra, et on voit ce qui se passe. On voit comment ça vit, la vie. La vie a une vie propre. 

Le vrai avenir du cinéma, c’est donc l’instant. À chaque instant, il y a une chose qui se passe. Cette chose peut provenir d’une logique mais peut être incongrue. La vie est jaillissement permanent. Elle n’a pas à s’expliquer. La plupart du temps elle obéit à un continuum. Le cinéma d’aujourd’hui est plutôt un cinéma de discontinuité. Les bons films sont discontinus. Dans la ­modernité, ce qui m’intéresse c’est la fin de la dramaturgie au sens antique du terme. Le no ­future est devenu quelque chose de véritable. Si Coppola et De Palma ne travaillent plus à Hollywood, c’est qu’Hollywood ne veut pas de ça.

J’adore les gens comme Lacan qui ont ­dévissé les mots. Lacan, c’est l’aboutissement de la préciosité : déconstruire ses certitudes et redonner du sens par la cassure des mots. Le langage du cinéma y arrive d’autant plus que le montage le lui permet.

L’idée de la Nouvelle Vague, c’était de ­trouver l’écriture de l’instrument. C’est une mécanique, le cinéma. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, une mécanique s’est muée en art. Au cinéma, le fait même que tu captes la vie change tout. Sur l’écran, on voit vivre la vie. Rien à voir avec la fixité de la photo.

Mais nous sommes arrivés à un moment où la vie qu’on nous contraint à vivre ne nous plaît pas. Il y a eu des espérances. ­Aujourd’hui juste de la désespérance. L’hypercapitalisme est la plus haute catastrophe humaine qui soit, non ?

L’avenir constant du cinéma, c’est : « ­Occupons-nous de la vie. » Le cinéma doit s’amuser à inventer des possibles. Les meilleurs aujourd’hui mettent le doigt sur les impossibilités. Cronenberg promène sur Hollywood un regard psychiatrique : c’est la folie totale. Le grand rêve occidental est en décadence, il faut trouver une nouvelle cadence. Le cinéma aura une part obligatoire dans ce renouveau. Aujourd’hui il ne fait que constater. Que ce soit dans le documentaire, la fiction ou l’animation, il est dans le désenchantement.

Ce qui est important, c’est l’imaginaire. Le monde, c’est quoi ? La vie qui impose son existence à l’existant. Les rêves s’imposent à la réalité : le réel n’est pas une donnée, mais un produit.

La fonction d’un grand cinéaste n’est pas simplement de refléter l’esprit de son temps, mais de sentir venir la chose : l’à ­venir. C’est un être d’intuition, pas de déduction. Pas médium, plutôt porteur du monde qui vient. Il le fait venir, il l’accouche. Il le sent, mais ne le sait pas. 

Alors oui, le cinéma est encore porteur d’un rêve. À partir du moment où il accepte de regarder la vie, la vie rêve toute seule. La vie c’est du rêve en perpétuel bouillonnement.  

Propos recueillis par OLLIVIER POURRIOL

 

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