Nos élites des deux bords se vautrent dans ­l’affrontement parodique qui fait vivre leurs estrades. Les nouvelles transes sur la réforme du collège font revenir sur le devant de la scène les chansonniers de naguère et de toujours. Cela se résumerait en un débat archétypal entre les tenants d’une excellence pure et dure et ceux de l’égalitarisme absolu. Personne ne croit plus à cette belle anti­nomie. Mais on arbore les vieux oripeaux pour occuper le terrain, disqualifier le voisin. D’un côté un darwinisme quasi génétique – gloire aux plus forts, aux grosses têtes –, de l’autre vive la Sociale moutonnière. Les orateurs n’ont nullement honte d’entonner leurs tirades fossilisées. Pendant ce temps-là, les lycées barbotent dans leur quotidien infiniment plus complexe. Le chantre pyrénéen du grec et du latin entonne son hymne comme le coq millénaire, l’académicien auquel l’ordinateur donne des boutons y va de sa rengaine sempiternelle qu’on finit par aimer comme on aime le Mont-Saint-Michel et les Folies Bergère. La France tient à ses folklores. J’entends partout le bêlement suivant : on ne saurait maîtriser la langue française si on n’a pas fait de latin. C’est faux ! J’en ai fait, mais j’étais bon en français bien avant de cultiver les lettres classiques où mon niveau fut toujours fragile. Alors pourquoi ne pas faire aussi du ­gaulois, apprendre les différents dialectes régionaux ? J’ai été prof de français pendant quarante ans, fou de vocabulaire, et cela m’aurait passionné ! Si j’avais des enfants en âge de collège, j’avoue très lâchement que je préférerais les voir parler assez couramment l’anglais, l’allemand ou l’espagnol, voire un poil de mandarin collabo, qu’exceller en grec et en latin. Mais je suis un barbare profond ! Si mes gamins témoignaient d’un intérêt majeur pour l’origine de notre langue et l’histoire gréco-romaine, je leur ferais prendre dare-dare des options en ces matières. 

Nul besoin de monter sur les échasses d’Homais, voire de Bouvard et de Pécuchet, pour débattre de ces questions. Les politiciens obscènes des deux camps ferraillent sans vergogne en se réclamant de théories maximalistes du xixe siècle. L’alternative serait : l’avenir aux plus doués ou l’avenir au nivellement par le bas. Cela ne tient pas debout, personne n’y croit. Les débats strictement politiciens sur la question soulèvent le cœur par leur bêtise bombée. Bien sûr qu’il y a des gens très doués, latin ou pas. Les causes ne sont pas forcément génétiques ou sociales mais plutôt psychanalytiques… C’est dire que c’est ancré ! Bien sûr que nombre de mauvais élèves ne le sont pas ontologiquement et qu’une meilleure prise en charge les sortirait du rang. Mais non ! Les tenants des tribunes préfèrent jouer impitoyablement les imbéciles pour une heure de gagnée ou de perdue, çà ou là, ou pour l’affaire de l’interdisciplinarité. Je le confesse encore : je fus un prof trop individualiste de banlieue qui aimait être seul à bord, mener sa barque à sa guise. J’ai vu mille réformes qui ne m’ont pas fait changer fondamentalement de cap. N’empêche que lorsque de graves difficultés de classe survenaient, je sentais le besoin d’un échange et d’une action concertée aux côtés de mes collègues. L’interdisciplinarité, je l’ai pratiquée. Elle existait, par exemple, dans ce qu’on appelle encore les TPE, travaux pratiques encadrés. Les élèves produisaient une sorte de fluet mémoire au croisement de deux disciplines. Mais c’était périphérique, laissé à l’improvisation, sans apprentissage aucun. Les élèves passaient leur temps à vadrouiller sur les ordinateurs en faisant des copier-coller. Mais voilà que je donne du grain à moudre à l’académicien phobique vêtu de verdurettes fraîches.

Au lieu de se shooter au débat idéologique sur le Siècle des lumières en option et le mot musulman en caractères gras, de se griser de panaches antithétiques, style IIIe République – moins, il faut le dire, les redoutables talents de Clemenceau, de Jaurès, de Huysmans ou de Léon Daudet –, il serait opportun, pour nos orateurs plus modestes, de réunir les lumières des deux camps et de trouver de forts points d’accord au service des élèves de tous les bords. Les petits génies en caractères gras et les normaux, comme on dit, y gagneront ensemble. En tant que romancier je suis féru de polyphonie grasse, maigre, inédite. Mais on nous casse les oreilles avec la même fanfare idiote et binaire qui fait sombrer le Titanic de la classe politique au pouvoir. On hystérise les fronts. Picrochole ou rien, jusqu’à la beauté de l’iceberg ! 

Vous avez aimé ? Partagez-le !