L’industrie pharmaceutique, en finançant largement la recherche, la formation et l’information des médecins, maintient le système de santé dans un état de dépendance. Les réformes adoptées en réponse aux scandales sanitaires introduisent de la transparence, mais les prescripteurs demeurent sous influences.

Le projet de loi « de modernisation de notre système de santé », voté le 14 avril en première lecture à l’Assemblée nationale, impose de rendre publiques toutes les sommes versées par l’industrie pharmaceutique aux médecins. Il renforce la représentation des patients dans les agences sanitaires et institue un déontologue dans ces instances pour déceler les conflits d’intérêts. Ces mesures prises suite à des scandales sanitaires comme l’affaire du Mediator, ne modifient pas la situation de dépendance financière du système de santé à l’égard de l’argent de l’industrie. Les laboratoires gâtent les étudiants, façonnent les carrières et maîtrisent la formation et l’information des médecins.

Une thèse soutenue en 2012 sur les relations entre l’industrie et les étudiants en médecine, décrit des liens « fréquents, précoces, qui augmentent avec l’avancée des études » et dépeint des futurs médecins qui acceptent les cadeaux et rejettent l’idée d’interdire les contacts avec l’industrie. Selon cette enquête menée auprès d’une centaine d’étudiants, neuf externes sur dix ont participé à un repas organisé par l’industrie, reçu un petit cadeau et une fiche sur un médicament. Leurs aînés internes ont suivi, à 80 %, une soirée de formation payée par un laboratoire. En 2011, la loi dite « Bertrand » a instauré l’obligation de publier les conventions et les avantages consentis par les entreprises aux étudiants. Mais, très tôt, les futurs praticiens s’habituent à être formés et informés gracieusement, aux frais de l’industrie.

Cette habitude perdure une fois médecins, lorsqu’il s’agit de mettre à jour leurs connaissances. Mais hormis les revues Prescrire et Médecine et l’agence spécialisée APMnews.com, inaccessible à une partie des libéraux, la presse médicale vit majoritairement des publicités de l’industrie pharmaceutique. Cette dépendance financière conduit à privilégier les sujets susceptibles de vendre des espaces publicitaires, au détriment des autres. Les pathologies pourvoyeuses de médicaments récents y sont surreprésentées, les bénéfices des médicaments très détaillés, leurs risques minorés ou occultés. La sortie du livre d’Irène Frachon Mediator 150 mg : Combien de morts ? (éditions-dialogues.fr, 2010) n’a tout simplement pas été couverte par ces revues, par peur de contrarier un annonceur généreux : Servier.

Une très large majorité des congrès médicaux est aussi financée par l’industrie qui, en prime, prend souvent à sa charge l’inscription et les frais de déplacement et d’hébergement des médecins. Les présentations phare sont assurées par des « leaders d’opinion ». Ces professeurs, chefs de service des centres hospitaliers universitaires, exposent les résultats des études menées par l’industrie pour tester de nouveaux médicaments. Ils rendent ensuite compte de ces données dans des revues scientifiques internationales. Mais la décision de publier appartient à l’industriel et les essais positifs ont quatre fois plus de chances d’être divulgués que ceux concluant à l’inefficacité des traitements. Ce phénomène contribue à l’élaboration d’un savoir médical biaisé.

Par ailleurs, la publication d’études scientifiques compte dans l’avancement des carrières universitaires des médecins, notamment pour accéder au professorat, et la participation aux essais cliniques est rémunérée par l’industrie. Le « Sunshine Act » à la française, issue de la loi Bertrand, a introduit l’obligation de publication, sur la base publique transparence.sante.gouv.fr, des avantages consentis par l’industrie aux médecins, comme les invitations aux congrès ou les repas. Mais jusqu’à présent, les montants des conventions passées avec l’industrie, pour des activités de conseil ou de participation à des études restaient opaques. Le texte adopté le 14 avril en première lecture par les députés prévoit la publication de ces rémunérations.

Ces contrats peuvent atteindre 100 000 euros, selon Philippe Even, professeur émérite à l’université Paris-Descartes. À titre d’exemple, il affirme que les 50 professeurs de cardiologie parisiens sont liés par 816 contrats avec l’industrie. Cette ressource financière peut multiplier plusieurs fois leurs revenus.

Les « leaders d’opinion » siègent au bureau des sociétés savantes qui organisent les congrès et élaborent des recommandations à l’usage des médecins. Ces textes, considérés comme des références même s’ils ne sont pas opposables, édictent des stratégies thérapeutiques.

« Ce qui me frappe, c’est que les médecins affirment toujours aujourd’hui qu’ils ne sont pas influencés par ces liens, persuadés que leur cerveau droit est isolé du gauche ! », constate la pneumologue Irène Frachon du CHU de Brest. Son combat pour les victimes du Mediator l’a amenée à se prémunir de tout conflit d’intérêts. Entre autres, elle ne participe plus aux réunions d’échange du Réseau français d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) parce qu’elles sont payées par les laboratoires. Renoncer à ce lieu « d’échanges scientifiques entre pairs » nuit à son exercice médical. Elle décrit une « équation diabolique » : c’est grâce à ce réseau qu’elle a dépisté la nocivité du Mediator. 

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