Apposée sur un bloc de marbre, près de l’entrée du Parlement européen à Bruxelles, on trouve une petite plaque où figurent ces quatre lettres : SEAP, pour Society of European Affairs Professionals. Elle a été posée peu après la création en 1997 de cette association de lobbyistes. Étonnant hommage du pouvoir législatif à ces professionnels de l’influence considérés en France comme des parasites vivant sur le dos et aux dépens des représentants légitimes de la nation. C’est peu dire que les lobbyistes ont pignon sur rue dans la capitale européenne. On estime leur nombre à 30 000. C’est plus que l’ensemble des fonctionnaires des institutions européennes. La plupart sont massés dans le kilomètre carré du « quartier européen ». Rue de Spa ou avenue Cortenbergh, services de la Commission, associations professionnelles et cabinets de lobbying se suivent, d’un numéro à l’autre. Ici le lobbying n’est pas une verrue posée sous le pied de la démocratie, c’est un des ingrédients de la tambouille communautaire.

Ce qu’on lui reproche n’est pas d’exister mais de manquer de « transparence ». Pourtant, en 2011, a été mis en place un registre des groupes d’intérêt. En novembre 2014, au moment de l’entrée en fonction de la Commission Juncker, il recensait 6 000 « entités », parmi lesquelles des représentants de grandes entreprises ou de fédérations professionnelles (plus de la moitié), des ONG, des think tanks, des cabinets d’avocats, des représentants de région, etc. Mais l’inscription reste volontaire. Plusieurs ONG « anti-lobbies » consacrent une bonne partie de leurs ressources à dénoncer les failles de ce répertoire. Elles sont nombreuses. Simple exemple : la banque Goldman Sachs n’y était jusqu’il y a peu tout simplement pas enregistrée… en dépit du fait qu’elle est très active dans la capitale européenne. Son influence s’exerce à travers ses « lobbyistes maison » que l’on croise en commission des affaires économiques et monétaires. Elle passe également par les différents cabinets de consulting que la banque fait travailler (dont Fleishman-Hillard, une des enseignes que l’on retrouve aussi bien à Washington qu’à Bruxelles) et bien sûr par les associations professionnelles, notamment la très puissante Association for Financial Markets in Europe, dont le budget se chiffre en dizaines de millions d’euros.

En octobre, pendant son audition parlementaire, le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a prévenu : « Nous avons besoin d’un registre (des lobbies) obligatoire, mais cela sera un exercice difficile car cela représentera un changement de tradition. » Et le socialiste néerlandais de préciser qu’en attendant, ceux qui n’avaient pas pris soin de s’inscrire n’auraient plus accès aux commissaires et à leur cabinet. Cinq mois plus tard le nombre des lobbies enregistrés était passé à 8 300. L’annonce de Timmermans « a porté ses fruits », constate la députée socialiste Sylvie Guillaume, vice-­présidente du Parlement en charge de la transparence.

Transparence ou pas, les lobbies sont-ils utiles ? Ils sont surtout consubstantiels à la politique européenne. « Je n’aurais pas pu faire mon travail s’ils n’avaient pas été là… cela m’aurait pris plus de temps », explique Sylvie Guillaume. Dans un système politique taillé à l’échelle d’un continent et faute ­d’histoire politique européenne ­commune, les lobbies font un peu office de société civile. 

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