Le prix du pétrole est aujourd’hui suspendu à l’évolution de la situation avec l’Iran. Les chiffres de mars montrent une production record des pays de l’OPEP, quasi équivalente à leur production d’octobre, signe qu’ils n’ont pas changé de stratégie : ils continuent à pomper près du maximum de leurs capacités, au-delà du plafond des quotas fixé à 30 millions de barils par jour.

Pour mesurer la dépendance au pétrole des grands producteurs, il existe un critère assez cruel, celui du fiscal breakeven, autrement dit le niveau minimal que doit atteindre le prix du baril pour permettre l’équilibre budgétaire. Cet indicateur met en lumière les cigales et les fourmis : il s’élève autour de 160 dollars par baril pour le Venezuela. Le plus modeste est celui du Koweit : 50 dollars. En Algérie, il se situe officiellement à 120-130 dollars (je l’ai estimé pour ma part à 170 dollars) ; en Russie entre 100 et 110 dollars, en Arabie saoudite à 100 dollars. 

Certains pays ont su tirer les leçons des grands gaspillages consécutifs aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Ils ont notamment créé des fonds souverains. Face à la chute des cours, la Norvège n’aura pas trop de problèmes. La Russie possède des réserves, même si elle les mange aujourd’hui. Riyad dispose de près de 900 milliards de dollars. Mais pour ceux qui n’ont pas de poches profondes, la situation est critique. Le Venezuela est à la limite du dépôt de bilan et du défaut sur une partie de sa dette. Ce contre-choc met en évidence les croissances artificielles. Les vieux pays pétroliers n’ont pas pu corriger le tir. Voyez l’Algérie : le pétrole l’a totalement anesthésiée, il a tout tué. Au point qu’il n’existe aucune autre activité. Il a hélas permis le maintien d’une dictature militaire et d’un État-providence paralysant. Le Venezuela a le même destin que l’Algérie. Je mets à part les pays que le pétrole a détruits, comme l’Irak et la Libye. On peut savoir gré aux généraux algériens ou nigérians, et même à Chávez, de ne pas avoir mis leurs pays à feu et à sang. Un autre pays touché est le Brésil. Il a cru que le pétrole trouvé en eau profonde au large de Rio lui fournirait un pactole. En réalité, son exploitation a pris plus de temps que prévu. À un coût de 70-80 dollars, il ne va pas être rentable. S’ajoute à cela le scandale de la compagnie nationale Petrobras empêtrée dans une affaire de corruption.

Dans ce tableau, l’Iran est un cas : le pétrole aura permis le maintien de la dictature islamique. Comme au Nigeria, nous sommes en présence de pays qui ont été très dépendants du pétrole, mais où émergent d’autres forces économiques. Si le Nigeria a gâché son potentiel, on assiste à la naissance d’une nouvelle bourgeoisie liée à une activité industrielle qui n’est pas la seule exploitation de la rente. Car c’est bien cette rente qui constitue la malédiction de nombreux pays pétroliers, en Afrique surtout : la Guinée équatoriale, le Gabon, l’Angola qu’on qualifiait de « miracle africain ». Et encore le Congo-Brazzaville ou le Mozambique. Si seulement le contre-choc leur servait de leçon, si le « modèle » nigérian pouvait se généraliser… Mais quand un pays est aux abois et que des chercheurs d’or noir viennent dire à ses dirigeants, comme ce fut le cas à Madagascar : « vous avez peut-être du pétrole », ils croient que cette manne, si elle existe, peut les sauver. C’est dramatique ! Aux Malgaches qui rêvent de pétrole, je répondrais : « De grâce, surtout n’en trouvez pas ! »      

 

Propos recueillis par E.F.

 

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