Anthony Giddens

Il est difficile de résister à la conclusion selon laquelle un changement substantiel s’est produit. Les raisons en ont été explorées dans les débats sociaux-démocrates de ces dernières années. Qu’ils aient ou non été influencés directement par le marxisme, la plupart des penseurs et des militants de gauche ont adopté une vision progressiste de l’histoire. Ils étaient liés par la croyance commune non seulement dans « la marche en avant du socialisme », mais également dans celle de la science et de la technologie. Les conservateurs, d’un autre côté, demeuraient sceptiques quant aux grands schémas, et pragmatiques en termes de développement social, en insistant sur la continuité historique. Ces différences sont moins prononcées aujourd’hui. Gauche et droite ont ensemble accepté la nature duale de la science et de la technologie, qui génèrent des bienfaits tout en créant de nouveaux risques et des incertitudes. Avec la fin du socialisme comme théorie économique, une des lignes de division majeures entre gauche et droite a disparu – au moins dans un futur prévisible. La gauche marxiste voulait renverser le capitalisme et le remplacer par un système différent. De nombreux sociaux-démocrates croyaient également que le capitalisme pouvait et devait être progressivement modifié afin de perdre la plupart de ses caractéristiques essentielles. Plus personne aujourd’hui n’a d’alternative à proposer au capitalisme – les discussions qui subsistent portent sur la question de savoir jusqu’où et par quels moyens le capitalisme peut être « gouverné » et régulé. Ces discussions sont sans aucun doute intéressantes, mais elles paraissent en retrait par rapport aux désaccords fondamentaux qui avaient cours dans le passé. Le changement des conditions historiques a conduit à l’émergence d’un ensemble de problèmes et de possibilités qui ne rentrent pas dans le schéma gauche-droite. 

Extrait d’Anthony Giddens et Tony Blair, La Troisième Voie, le renouveau de la social-démocratie, traduit de l’anglais par Laurent Bouvet, Émilie Colombani et Frédéric Michel © Seuil, 2002, pour la traduction française

 

Jacques Delors

Le renouveau de la social-démocratie que propose Giddens repose sur l’identification de cinq problèmes qui se présentent aux sociaux-démocrates contemporains : la mondialisation, les nouvelles formes d’individualisme, le rapport droite-gauche, l’émergence de nouvelles formes d’action politique, la montée des préoccupations écologiques. Pour Giddens, l’extension internationale des marchés des capitaux et l’émergence d’une « bulle financière », la révolution des technologies de l’information, le déclin de la tradition et de la coutume, et l’avènement des mouvements de la « société civile » constituent un changement profond dans nos sociétés, qui interpelle sous forme d’une problématique les oppositions traditionnelles entre gauche et droite. Face à de telles transformations, les sociaux-démocrates sont donc tenus d’apporter de nouvelles réponses politiques et de développer de nouvelles méthodes pour mettre en œuvre la solidarité sociale. 

 

 

Préface de l’édition française de La Troisième Voie ­d’­Anthony Giddens et Tony Blair (op. cit.)

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