Les raisons du prisme idéologique de la gauche française sont à chercher dans les profondeurs historiques : la Révolution française, la figure de Babeuf qui annonce le communisme, la sacralisation de l’État, l’idée d’une suprématie de la politique sur l’économie qui va d’ailleurs au-delà de la gauche. Ce n’est pas elle mais le général de Gaulle qui a dit « l’intendance suivra ». Ajoutons la France catholique, étatique, son rapport à l’argent. Servir une entreprise ou un intérêt économique est aussitôt opposé à l’intérêt général. Ces spécificités se mesurent aux traces laissées par le congrès de Tour de 1920 comme à l’extrême diversité syndicale. Nous sommes aussi le seul pays au monde où l’on a longtemps vu trois candidats trotskistes à l’élection présidentielle. Voilà la racine de la division des gauches. On n’a pas vu ça en Australie ou en Nouvelle-Zélande. C’est pourquoi j’ai pu dire que je me sentais en accord avec 95 % des sociaux-­démocrates de la planète, les 5 % restants étant les socialistes français...

60 % des Français critiquent l’économie de marché, 70 % critiquent le capitalisme. Et s’ils sont plus de 70 % à avoir une image positive de l’entreprise, c’est qu’ils apprécient d’y retrouver leurs collègues. Ce n’est pas parce qu’elle leur assure un emploi, qu’elle innove ou qu’elle réalise des profits ! L’entreprise n’apparaît que par raccroc dans le préambule de la Constitution de 1946, quand elle précise que les travailleurs sont associés à la gestion de l’entreprise. J’ai acheté le manuel destiné aux enseignants de terminale économique et sociale. Il est très bien fait. Mais dans les exercices, on demande aux élèves si l’entreprise est prédatrice ou innovatrice !

On comprend mieux que les Français détestent la mondialisation et la vivent comme une contrainte : ils sont mondialisés dans leur corps mais pas dans leur tête, et cela crée une névrose. Dans un débat à gauche, si on prononce cette vérité allemande qu’il faut faire grossir le gâteau avant de le répartir, on est taxé de libéralisme réactionnaire. Les idéologues refusent que l’économique détermine le politique. La gauche dominante n’a pas la culture du compromis. En France, ce mot est connoté négativement. Quand on dit compromis, on entend compromission.

Prenons l’exemple de l’écologie politique née en Allemagne. Elle est assez vite devenue une force responsable associée au pouvoir. Pourquoi a-t-on un Daniel Cohn-Bendit et une Cécile Duflot ? La comparaison entre les deux est significative. Cohn-Bendit a une pratique responsable. Il considère qu’il faut accepter des compromis, même s’ils ne sont pas parfaits, plutôt que de renverser la table en permanence en attendant le Grand Soir. Mais nos structures institutionnelles l’interdisent. La Ve République contraint à une bataille présidentielle de second tour entre blanc et noir. Tant qu’on n’introduira pas une dose de proportionnelle et qu’on ne décentralisera pas davantage pour laisser place à des compromis locaux, l’espace de la social-­démocratie sera précaire.  

Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO

 

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