À l’heure où les plus optimistes semblent discerner une légère embellie de la situation économique de la France. À l’heure où les plus pessimistes, sans nier cette embellie venue de l’extérieur, affirment qu’elle ne saurait être de nature à infléchir la courbe du chômage faute d’une croissance suffisante. À l’heure où le paysage politique s’est considérablement modifié : un tiers de Front national, un tiers de droite classique non homogène, un tiers de gauche largement éclatée. À l’heure surtout où nos concitoyens n’attendent plus rien, ou si peu, de la politique, le plus utile est peut-être de rappeler les grands principes susceptibles de redonner sa noblesse à la politique : vérité, exemplarité, solidarité.

Deux raisons à ce rappel. La première, la plus importante, est que face à une situation politique confuse, à une situation économique très incertaine, il n’a jamais été aussi important pour nos responsables d’opérer des choix clairs et de faire vite. La deuxième est personnelle : en 1953, intéressé par les éditos que je publiais avec la foi des engagements de la jeunesse, Pierre Mendès France a souhaité me rencontrer. Il m’a ensuite accordé sa confiance. J’écrirai alors dans la Tribune des peuples, revue franco-britannique de l’époque, « Pierre Mendès France a ouvert une voie nouvelle ».

Tant de gens qui ne l’ont pas connu se réfèrent à lui aujourd’hui. Pierre Mendès France n’était pas socialiste. Le marxisme, qui imprégnait après la guerre une partie notable des intellectuels, lui était étranger. Il était d’abord un républicain intransigeant, un homme de progrès qui mettait tous ses espoirs dans la jeunesse et la modernité, c’est-à-dire dans l’adaptation aux réalités de l’époque, dans la pédagogie et la relation directe avec le peuple. Ses déclarations ont une résonance particulière aujourd’hui. Je retiens celles-ci : « Ne jamais faire de promesses que nous ne sachions tenir, mais tenir coûte que coûte celles que nous ferons » ; « Tenir toujours un discours de vérité et d’honnêteté » ; et encore : « Il ne suffit pas d’être un gouvernement de gauche, il faut être un gouvernement d’action. Seule l’action entretient la confiance. »

À qui pourraient s’appliquer ces principes aujourd’hui ? Certes pas au Front national qui n’a nul besoin de conseils tant il surfe sur le rejet des partis de gouvernement et sur leur absence de résultats tangibles : lui dire qu’il se trompe est totalement inutile puisqu’il est ailleurs. C’est d’abord la gauche, puisqu’elle est aujourd’hui aux affaires, qui devrait s’inspirer de ces maximes. Le peuple de gauche s’est détourné de l’engagement politique car il n’a pas compris le virage qui lui a été imposé. Le discours du Bourget (« Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance. ») n’a jamais été démenti. Dans les dix-huit mois qui ont suivi l’élection présidentielle, les impôts n’ont cessé de croître et les dépenses de l’État d’augmenter, entraînant celles des collectivités locales, tandis que la dette publique atteignait des sommets (plus de 2 000 milliards). Ce n’est qu’en janvier 2014 avec l’annonce du pacte de responsabilité et la découverte de la « Macron-économie » que l’on entend enfin cette vérité : les emplois se créent d’abord et essentiellement dans l’entreprise. Pas la moindre explication sur cette découverte tardive. On affirme au même moment, contre toute évidence, que la courbe du chômage va s’inverser.

Erreur fatale de communication qui décrédibilise la parole du président. À partir de là, le peuple de gauche va se fractionner. Une minorité de fidèles suit le président quoi qu’il arrive. Une autre partie se sent trahie (les contestataires, les « aubrystes », les frondeurs, les écologistes emmenés par Cécile Duflot), attendant d’imposer par le biais du congrès du PS l’infléchissement de ce qu’ils appellent la politique sociale-libérale. Il faudra des élections désastreuses, les municipales du printemps 2014, pour que le président appelle Manuel Valls, le plus représentatif de la nouvelle orientation, celui qui a osé mettre en doute le résultat des 35 heures, marqueur le plus emblématique du Parti socialiste. 

Mais on n’est pas encore allé jusqu’au bout de la logique du changement de cap et il faudra un nouveau choc pour qu’Arnaud Montebourg et Benoît Hamon (opposants de l’intérieur) quittent le gouvernement ; pour que le Premier ministre appelle Emmanuel Macron, l’inspirateur de beaucoup le mieux formé pour mettre en œuvre une partie des réformes nécessaires. 

Il eût fallu dire qu’on s’était trompé, exposer sans fard la situation catastrophique de nos finances et la fragilité qui en découlait. Il fallait réformer et vite. 

La loi Macron était le point de départ le moins conflictuel en principe, visant d’abord au dépoussiérage des professions protégées, à la limitation des rentes de situation. Ce qui aurait dû faire consensus, à droite et à gauche, s’est terminé, hélas, par l’utilisation du 49-3 face aux postures politiciennes. Après ce lamentable épisode, les économistes de Bruxelles sont à demi rassurés et les Français peu convaincus. En dépit d’éléments favorables exogènes – l’euro plus faible, le pétrole moins cher, les taux d’intérêt au plancher –, la situation ne s’améliore guère, car le chômage massif qui conditionne tout le reste est toujours présent et le restera longtemps encore, faute de confiance retrouvée et surtout de croissance suffisante (plus de 1,5 %).

Les Français qui ne voient toujours pas de résultats, pas d’amélioration à leurs conditions de vie, expriment leurs déceptions à la fois par une abstention très forte et par le soutien au Front national ; comme ils montrent leur colère par d’innombrables petites grèves et manifestations qui paralysent le pays.

Alors, monsieur le Premier ministre, avec une majorité divisée pour ne pas dire éclatée, il vous faut choisir. Choisir, comme l’aurait fait Pierre Mendès France, et s’inspirer de ses principes. Choisir, c’est réduire drastiquement une fiscalité écrasante de nature à décourager investisseurs et entrepreneurs. La France est dans ce domaine la championne européenne avec un taux de 36 %. Choisir, c’est diminuer brutalement les charges de l’État et des collectivités territoriales (en hausse) qui culminent à 57 %. On sait qu’il faudra imposer une diminution sensible du nombre de fonctionnaires, même sans l’accord de syndicats conservateurs. C’est Claude Allègre, ministre et ami de Lionel Jospin, qui prêchait de dégraisser le mammouth. Car si l’éducation nationale reste une priorité, cela ne se traduit pas nécessairement par une augmentation du budget mais par une évolution progressive et réaliste avec plus de résultats, comme en Allemagne.

Choisir, c’est diminuer le coût horaire de la main-d’œuvre, de manière ciblée selon la nature des activités, afin de renforcer notre compétitivité ; c’est surtout améliorer la flexibilité du travail, l’adapter aux besoins réels de l’entreprise ; c’est laisser aux acteurs locaux (syndicats et organismes patronaux) le soin de régler leurs problèmes. Pour avoir consenti à ces efforts, l’Allemagne, encore elle, peut aujourd’hui augmenter ses salaires.

Il est donc capital de bien faire comprendre que les réformes structurelles à venir ne sont pas un choix de société, mais une étape indispensable à un moment donné, dans un contexte donné. C’est un one-way. La réduction du temps de travail au profit du repos, des loisirs et de la culture, est toujours un motif d’espérance ; mais, hélas, elle n’est pas pour demain. Expliquer que les sacrifices d’aujourd’hui permettront d’améliorer la vie une fois la crise traversée. Vous n’avez pas, monsieur le Premier ministre, pour mission de nous tracer un modèle de vie, mais de nous éviter de sombrer dans les naufrages où nous entraînent nos extrémistes avec une irresponsabilité criminelle.

Si une part de la déception ambiante provient d’une gauche inaudible, la droite y a aussi largement contribué. La succession des scandales qui l’éclaboussent, la guerre des ego, jusqu’au ridicule face à la gravité de l’heure, doivent cesser au profit d’un véritable programme d’alternance.

Car pour le moment, il n’y a rien qui suscite l’enthousiasme. Alors vite, messieurs les prétendants, au boulot. Il ne suffit pas de dire qu’il n’y aura plus d’ISF, qu’on diminuera les impôts, que l’on réduira les charges de l’État, encore moins d’avancer des chiffres irréalistes tels 100 milliards de diminution des charges de l’État en trois ans, en sachant qu’une baisse de 50 milliards serait déjà une belle performance. Un programme qui n’aurait d’autres ambitions que de démonter celui de l’adversaire, en faisant systématiquement le contraire, ne rétablirait pas la confiance. Lorsque, à droite, les principaux compétiteurs à la candidature préconisent 63 ans (Sarkozy) ou 65 ans (Juppé et Fillon) comme âge de départ à la retraite, cela paraît presque aussi confus que les 5, 7 ou 12 dimanches qui divisent la gauche comme marqueurs d’engagement social.

Allez plus loin dans la réflexion sur l’islam en France, sur le communautarisme, sur l’« intégrationnisme », le respect strict ou non de la loi de 1905, la question de savoir s’il faut ou non ouvrir des mosquées avec l’assistance des collectivités locales : voilà les vrais sujets, d’autant plus importants que se renforcent les menaces de Daech et que se regroupent autour de cette organisation différentes factions. Affiner une politique d’immigration juste, en évaluant nos besoins réels dans un souci d’équité par rapport à nos populations les plus déshéritées et à nos chômeurs. Préparer une école davantage tournée vers le goût de la réussite et adaptée aux besoins d’une économie largement orientée vers le numérique. Donner l’envie de réussir sa vie au lieu d’être assisté.

Mais aujourd’hui où malheureusement l’économie domine, ne serait-il pas utile de rechercher les quelques points d’accord où une droite intelligente et une gauche réaliste pourraient se rejoindre. La loi Macron est à cet égard exemplaire. Pour l’essentiel, ce projet n’est ni de droite ni de gauche ; il est un effort de modernisation dans un monde qui bouge. Sur la flexibilité du travail, sujet majeur qui n’a pas seulement été expérimenté dans les pays d’influence sociale-démocrate, n’y a-t-il pas une possibilité d’entente ? À l’évidence oui, mais la France a une culture d’opposition, pas de consensus. C’est dans ses gènes, comme le note Jean Peyrelevade dans son livre Histoire d’une névrose, la France et son économie (Albin Michel, 2014).

La situation est trop grave pour ne pas rapprocher toutes les forces de 

progrès. À ce jour, choisir d’agir ensemble, s’écouter et se respecter plutôt que de s’invectiver, serait un premier pas vers le travail en commun. Les plus pauvres sont encore plus pauvres par rapport à la moyenne nationale. Dans notre devise républicaine, le mot fraternité est sans doute à l’heure actuelle le plus important. L’heure est plus que jamais à la réforme et à l’action. 

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