France est le nom d’un paysage entre les règnes
où la parole chante entourée d’eau
les rivières s’appellent par les vols d’oiseaux
les filles ont des tendresses de cousines
pour les sources invisibles au travail sous l’instant

au moindre mot d’eau vive une clairière
se met en marche vers la mer
à travers l’épaisseur de la vie qui dure
un peu moins que le temps de trouver sa voix

Extrait de Des rivières plein la voix, promenade, 2004. © Éditions Gallimard

Suivez les cours d’eau sur une carte de la France. Que de fleuves et d’affluents sous les doigts ! Ludovic Janvier en goûte la fraîcheur sur les rives aussi bien que dans les mots. Car le français, s’amuse-t-il, « parle un pays d’eau douce ». Il murmure le nom des rivières comme pour étancher la soif. Ainsi, l’e muet ralentit notre langue. Autant de silences et d’échos qui mouillent nos paroles. Avant de publier en 1968 son premier roman, La Baigneuse, Ludovic Janvier, né en 1934, traduisit et étudia Samuel Beckett. Il connaît le pouvoir de l’écriture ainsi que ses manques. Longs récits, nouvelles, poèmes : son œuvre est la quête d’une voix. Avec dérision, pour se voir d’en haut. Dans un sourire, pour s’émerveiller de ce qui sépare de soi. À Paris, à Manhattan, au bord de la mer ou d’un ruisseau, Ludovic Janvier se fait happer par le monde. Voici que, bouche bée, il s’enchante de beauté. Et se laisse traverser par le souffle : « plus d’obstacles on jouit de l’air qui s’ouvre ». Faut-il inspirer aussi le parfum d’une femme ? S’enivrer de l’odeur des nageuses dans l’amour ? Boire à toutes leurs lèvres un liquide cousin des rivières ? Les vers de Ludovic Janvier jazzent les instants de bonheur mais également les violences de l’histoire, les blessures de l’enfance, le temps perdu. Le fleuve où l’on se promène est celui où l’on se noie. Jamais contents, courons l’infini du verbe « comme on cherche l’issue ». Avant que quelqu’un ne dise : « plus la peine / c’est fini ».

À lire du même auteur, La Mer à boire en Poésie/Gallimard

 

 

 

 

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