Depuis que Marine Le Pen préside le Front national, les femmes ne sont plus sous-représentées dans cet électorat. L’écart entre la proportion des électeurs et celle des électrices qui ont voté pour elle au scrutin présidentiel de 2012 est inférieur à 2 points (contre 6 en moyenne du temps de son père). Surtout, si on ne se contente pas d’une lecture paresseuse des sondages, si l’on examine les autres caractéristiques susceptibles d’expliquer cet écart, on voit qu’à âge, diplôme, milieu social, pratique religieuse égaux, l’effet du genre a disparu : les femmes votent dorénavant autant que les hommes pour la candidate du FN. 

Il faut resituer le phénomène dans une perspective historique et comparative. Les femmes ont longtemps voté plus à droite que les hommes, c’est le « gender gap [écart entre les sexes] traditionnel ». Puis, parallèlement à l’élévation de leur niveau d’études, à leur entrée massive sur le marché du travail, au recul de leur pratique religieuse, à la diffusion des valeurs égalitaires, elles se sont mises à voter autant, voire plus que les hommes pour les partis de gauche, c’est le « gender gap inversé ». La troisième étape est celle du « radical right gender gap », qui désigne leur réticence marquée à voter pour le FN, comme pour toutes les droites radicales qui prospèrent en Europe depuis la fin des années 1980.

Diverses raisons sont avancées pour l’expliquer. Les valeurs chrétiennes feraient barrage au message inégalitaire de ces partis, or le taux de pratique religieuse des femmes est plus élevé, surtout si elles sont âgées. Les femmes sont plus souvent employées dans le commerce et les services que dans l’industrie, elles seraient donc moins au contact des immigrés que les ouvriers et partant moins sensibles aux thématiques xénophobes. La diffusion des valeurs féministes dans la société, surtout chez les jeunes femmes, paraît difficilement compatible avec la vision traditionnelle de la famille véhiculée par ces formations, tandis qu’elle pourrait entraîner un vote FN antiféministe par réaction chez certains hommes. Les femmes enfin auraient un rapport plus distant à la politique, perçue comme un monde d’hommes, associée au conflit et à la guerre, qui les détournerait des partis extrémistes.

Pourquoi observe-t-on en France une évolution en sens contraire ? Un premier facteur est Marine Le Pen et sa stratégie de dédiabolisation. Elle se présente comme une femme jeune, moderne, plus ouverte que son père sur les questions de société (avortement, homosexualité, mariage), et elle sait faire passer le message frontiste sous une forme policée. Un second facteur est le réveil identitaire et la crispation ethnocentriste d’une partie des catholiques français face à l’affirmation de l’islam dans l’espace public, que montre le sondage annuel sur le racisme pour la Commission nationale consultative des droits de l’homme. La religion, dans ces conditions, jouerait moins son rôle protecteur face aux idées du FN. Il y a enfin l’évolution du marché du travail.

Un groupe, en particulier, a basculé vers le FN, celui des employées, plus particulièrement dans le commerce, type caissières de supermarché. Elles incarnent un nouveau prolétariat des services, peu qualifié, mal payé, dont les conditions de précarité n’ont rien à envier à celles des ouvriers, pas plus que leur ressentiment anti-immigrés. En 2012, ce groupe a voté pour Marine Le Pen à 30 %, un score supérieur de 17 points à celui de son père en 2007.

Si on modélise séparément les votes des hommes et des femmes, ce sont grosso modo les mêmes variables qui rendent compte du vote en faveur de Marine Le Pen dans ces deux populations en 2012. Du côté des attitudes, un positionnement droitier, une fixation anti-immigrés, la crainte de l’Europe. Du côté des facteurs socioculturels, un faible niveau d’études, la jeunesse, l’appartenance aux classes populaires. Mais ces variables ont systématiquement moins d’influence sur le vote féminin. Les coefficients qui résument le pouvoir explicatif du modèle sont toujours plus faibles chez les femmes que chez les hommes. En revanche, quand on introduit la sympathie déclarée à l’égard de la candidate du FN, c’est l’inverse. Ce facteur-là joue nettement plus chez les femmes que chez les hommes et le pouvoir explicatif du même modèle est chez elles supérieur de 20 points à son niveau chez les hommes.

L’effet « Marine Le Pen » a été décisif en 2012 pour expliquer la disparition du « radical right gender gap » français. Il a aussi joué lors des élections européennes de 2014, mais sur un électorat réduit, le taux d’abstention atteignant 65 % chez les femmes (contre 55 % chez les hommes). Il pourrait bien de nouveau se produire à large échelle lors de l’élection présidentielle de 2017. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !