Pourquoi le Front national progresse-t-il en France ? On pourrait aussi bien se demander pourquoi il ne progresse pas davantage, et surtout pourquoi il n’a pas progressé plus vite et plus efficacement, depuis trente-cinq ans. Enfin je dis Front national, j’aurais pu dire aussi bien n’importe quel parti qui eût incarné passionnément la résistance à l’immigration de masse, à la contre-colonisation, au changement de peuple et de civilisation, au Grand Remplacement. Mais, pour le meilleur et pour le pire, c’est au Front national que revient actuellement ce rôle-là. Je suis de ceux qui pensent qu’il ne serait pas mauvais qu’une autre force politique le secondât, à tout le moins, dans cet emploi.

Jadis, quand on était antiremplaciste, mais pas plus à droite que cela pour autant, sur tout le reste (car ça n’a pas grand’chose à voir…), on ne pouvait pas voter pour le Front national à cause de Jean-Marie Le Pen et de ses délicates plaisanteries. Aujourd’hui il n’y a plus d’interdit à proprement parler, et sans doute on apportera son suffrage à ce parti-là faute de mieux ; mais sans enthousiasme, à cause de l’Europe et de l’euro, ou de sa politique économique en général – sans parler de médiocres affinités culturelles. Pour ma part je suis persuadé que si les gens envisagent de plus en plus de lui donner leur voix, c’est que la question identitaire se pose enfin, avec un demi-siècle de retard ; que les citoyens ne croient plus que l’histoire nationale puisse se poursuivre avec un autre peuple (ou plusieurs) ; et que le vivre ensemble ne fait plus rire du tout depuis qu’il massacre, au lieu de se contenter comme avant de rendre l’existence des voisins impossible.

Face à ces problèmes-là, qui sont les seuls qui comptent vraiment à l’échelle de l’histoire, les Français sont persuadés, quitte à le déplorer, que le Front national est le seul à apporter des réponses, à proposer des solutions – et, objectivement, c’est le cas (au moins pour le moment).

Le problème est que lui-même en paraît de moins en moins convaincu. Quatre ou cinq millions d’électeurs potentiels, ou d’adversaires dotés d’un droit de veto démographique, c’est un poids qu’aucun grand parti à vocation gouvernementale ne peut ignorer bien longtemps, sans éprouver la tentation de se renier. La ligne de front entre remplacistes et antiremplacistes, partisans et adversaires de ladite théorie du Grand Remplacement, coïncidait à peu près, jadis, au moins sur une partie de son cours, avec les contours du Front national : elle passe désormais en son sein. Et le problème dans le problème, c’est que ce parti est dirigé d’un côté de cette frontière, tandis que la majorité de son peuple est de l’autre. Or, comme la façon dont il est dirigé paraît plutôt lui réussir, jusqu’à présent, un changement d’équipe dirigeante ne semble pas imminent. Je ne parle pas de l’autorité suprême, on l’aura compris ; je parle des diverses forces qui gravitent autour d’elle, pour ne pas dire camarillas

L’euro, l’Europe, et même l’« UMPS » dont on se fiche un peu au regard du destin des empires, ou seulement du sort des nations : le Front national est en train de se tromper d’ennemi, à mon avis. C’est un peu comme si de Gaulle, en 1940, avait estimé que la première urgence à traiter, c’était le bolchevisme. Il n’aurait pas été de Gaulle, soit. Et, aujourd’hui comme alors, on voit mal comment il est possible de s’abuser sur le danger le plus pressant, parmi ceux qui menacent la patrie et l’ensemble du continent. 

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