Il était une fois une maison en bois au fond d’une forêt où des coupeurs de route faisaient la loi. L’un d’eux, probablement leur chef, s’était illustré à une époque récente dans la manipulation des outils tranchants et dans le courant électrique qu’il transmettait, non sans plaisir, à des combattants pour l’indépendance de leur pays. Cette maison était entourée de fils barbelés au cas où quelques sangliers ou autres bêtes sauvages viendraient y trouver refuge. Non pas parce qu’ils seraient menacés et poursuivis, mais plutôt parce qu’ils auraient senti un cousinage avec les occupants des lieux.

À l’époque, peu de gens croyaient au discours de ce gang. Leur chef pérorait et les médias s’en réjouissaient parce que le bonhomme savait parler et avait surtout le talent de susciter la curiosité d’un grand nombre d’auditeurs et de téléspectateurs. Certains le trouvaient inquiétant et prenaient au sérieux ce qu’il disait. D’autres s’en moquaient.

Petit à petit la maison grandit. Un étage de plus, une cour de plus, deux ou trois caves de plus. Dans une chambre du grenier, le chef passait son temps à inventer des jeux de mots qui alliaient ses idées politiques et son racisme. Il aimait faire rimer des noms et des lieux de mort comme il réussissait à détourner la loi pour insinuer sa haine des Juifs. Ainsi il disait ne pas aimer la peinture de Chagall ni la politique de Simone Veil. Quant aux Arabes, il n’en parlait pas ; il se contentait de visiter de temps en temps ses souvenirs avec eux. Il n’avait aucun regret. Son mépris n’avait d’égal que sa colère de les voir de plus en plus nombreux dans les usines et chantiers du pays.

Un jour quelques-uns de ses hommes jetèrent à la Seine un passant, un Maghrébin. D’autres ouvrirent la porte d’un train et poussèrent un Algérien au milieu de la nuit entre Bordeaux et Vintimille. Évidemment, le chef n’y était pour rien. Pas besoin de s’excuser ou d’avoir quelque remords. Ce n’était pas le genre de la maison.

La maison au fond de la forêt s’est déplacée, elle a désormais pignon sur rue. Les fondations n’ont pas changé cependant : la haine et le mensonge, le racisme et la peur, l’exploitation des inquiétudes et des ignorances. Le programme bien copieux et creux était enrobé d’une logorrhée que certaines oreilles aimaient entendre parce que le malheur leur avait rendu visite. Le chef avait le sens des formules et des équations ; ainsi il suffisait de renvoyer les immigrés chez eux pour mettre fin au chômage. Ou bien de retirer la nationalité à leurs enfants nés sur le sol de France à la moindre incartade. On a beau expliquer que si, par l’effet d’une baguette magique, tous les immigrés prenaient le chemin du retour, l’économie française s’écroulerait, rien n’y faisait. Interdit de penser et d’imaginer ! Après les immigrés, le chef s’est attaqué aux nouveaux immigrés qui n’étaient pas des immigrés mais des Français nés de parents immigrés. Pour lui, Mohamed, né en France ou pas, ne peut être qu’un immigré.

La grande maison est devenue le siège d’un parti. Racisme et ignorance, mamelles de ses obsessions. Il se répand, s’organise, fait attention au langage et prend une douche parce qu’il se prépare à prendre le pouvoir. Ceux qui le rejoignent ne sont pas tous des paumés ou des racistes, mais ils trouvent dans ses discours une tonalité qui les rassure d’autant plus que certains parmi eux sont passés par le Parti communiste.

Fini le temps de la maison de malfrats du fond de la forêt sauvage. Est arrivé le temps des habits neufs et des dérapages très contrôlés. Les portes et fenêtres sont largement ouvertes. Les gens affluent de partout. Le parti ne sent plus l’odeur du sanglier blessé. Il fait son entrée sur la scène politique avec fracas et arrogance. Les autres, la gauche et la droite républicaine, sont dépassés. Ils n’en croient pas leurs yeux. Depuis le 22 avril 2002, les choses sont devenues sérieuses. Fini le temps de la fable. Au lieu de se battre de toutes ses forces, le candidat socialiste malheureux décide de quitter la politique. Erreur, mélange des genres, irruption des émotions et des regrets. Or en politique le combat ne fait pas de quartier. On ne pleure pas dans son coin, on retrousse ses manches et on mobilise le peuple.

Depuis, les choses ont bien changé. Les sondages sont scandaleusement alarmants. La perspective de voir la Cheffe arrivée en tête de la prochaine élection présidentielle est crédible. Une question cependant : qu’est-ce qui fait que de plus en plus de Français votent pour ce parti ? Ils ne sont pas sans savoir que son programme économique est un désastre annoncé, que la sortie de l’euro puis de l’Europe serait une catastrophe aux conséquences incalculables. Et pourtant ils rejoignent ce clan qui ruinerait définitivement la France.

Le vide. Voilà la réponse. Vide creusé par les partis politiques traditionnels qui passent leur temps à soigner leur destin particulier. Vide dû à une culture en perte de vitesse parce qu’elle s’éloigne de la terre et se focalise sur son nombril. Une culture qui ne se bat pas, qui laisse faire et ne réagit que rarement. Vide aggravé par la situation de l’éducation et de ses malaises. Vide montré du doigt par l’état désespérant des banlieues et ghettos d’où sortent des Merah, Kouachi et autres Coulibaly. Vide provoqué par le repli d’une société qui n’a plus grande confiance en elle-même. Vide qui vient du fait qu’aucun droit de réponse n’est opposé de manière systématique au discours trompeur et démagogue de ce parti. On laisse dire, on laisse faire. On banalise les choses les plus malsaines. Vide, enfin, fabriqué par des fantasmes toxiques.

La maison au fond de la forêt est devenue une partie du territoire du pays. Même si de temps en temps elle est souillée par le racisme, elle rectifie le tir et se porte plutôt bien. La fable a pris place dans la chair de la réalité la plus crue. 

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