Dans la famille précarité, l’emploi des jeunes fait bonne figure. La galère rythmée par l’accumulation de stages et de petits boulots a même, pour beaucoup, le caractère d’un rite de passage : on s’offusque des conditions proposées aux nouveaux arrivants sur le marché du travail tout en intégrant cette phase de vie comme une nécessité.

Le tout s’apparente d’ailleurs à un cercle vicieux : les recruteurs demandent aux candidats de faire preuve d’expérience, mais personne n’offre la possibilité de se faire les armes dans de bonnes conditions. Conséquence : le stage, initialement conçu comme une période de formation pratique, devient une nouvelle forme de contrat – le droit du travail en moins.

« Les stages se sont fortement développés depuis la fin des années 1990. À l’époque l’université ne préparait pas au monde du travail, mais nous sommes maintenant dans l’excès inverse : on lâche dans la nature des étudiants quasi salariés et non armés, sans les protéger », dénonce Julien Bayou, cofondateur en 2005 de Génération précaire, collectif spécialisé dans la dénonciation des conditions des stagiaires. Ils sont alors près de 800 000 en France – un chiffre estimé en 2012 à plus de 1,6 million, d’après un rapport du Conseil économique, social et environnemental.

Pour le jeune homme, nous assistons depuis à un véritable dumping social : « Un diplômé en stage concurrence malgré lui un diplômé qui cherche du travail. En termes de coût pour l’entreprise, le rapport entre un stage et un CDD est de 1 à 4. Plus il y a de stages, moins il y a d’emplois. » Et pour cause : pour une période de six mois, un salarié payé 1 500 euros par mois coûte 18 000 euros, contre 2 500 [3 100] euros pour un stagiaire. « Certaines entreprises abusent tellement qu’elles prennent dix stagiaires à la fois et leur annoncent qu’elles n’en garderont qu’un à la fin. C’est Koh-Lanta et La Boétie à la fois, de la servitude volontaire par besoin de survie », déplore Julien Bayou.

Sans parler des responsabilités confiées lors des stages, qui se sont également accrues – au point qu’il devient difficile aujourd’hui d’effectuer des stages pour tester un métier. Pire, l’existence de stages à fortes responsabilités diminue les possibilités d’embauche : le syndrome « urgent recherche stagiaire », fréquent dans les annonces, est caractéristique de la disparition des emplois juniors au profit de stages qui n’ont plus rien de pédagogique.

La faute à qui ? Aux recruteurs qui en ont généralisé l’usage au point de laisser croire qu’il s’agit d’une étape de pré-embauche incontournable (seule une fraction des stages en fin de cursus débouchent sur un emploi) et qui en abusent. La faute au chômage aussi, qui pousse les jeunes diplômés à accepter des stages, faute de mieux. La faute aux écoles et universités, qui distribuent des conventions et n’ont pas les moyens d’effectuer de suivi pédagogique.

Si la loi votée en juin 2014 sur l’encadrement des stages limite la durée des stages à six mois, accroît leur rémunération (de 436 euros à 523 euros) et accorde quelques avantages (délivrance de tickets-restaurant, remboursement des frais de transport), le décret limitant le plafond de stagiaires par entreprise à environ 10 % du personnel doit encore passer au Conseil d’État. « Cette dernière mesure est décisive pour initier un début de refonte globale et rééquilibrer les temps d’apprentissages, de stage et d’entrée dans la vie professionnelle », observe Julien Bayou, las de voir à quel point la jeunesse souffre ainsi d’une situation dont les conséquences se ressentent tout au long de la vie. Pour lui, ce combat est la mère de toutes les batailles : est-il encore possible d’accepter ce cadre éducatif qui incite « à fermer sa gueule » et institue le harcèlement et les pressions psychologiques comme des normes ? La question reste « on stage »… 

 

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