Sollicité par le 1 pour donner son point de vue sur le mouvement Podemos, l’écrivain espagnol Eduardo Mendoza nous a fait part de sa difficulté, voire de son impossibilité à répondre. Sa lettre, rédigée directement en français, nous a paru au contraire éclairante et nous lui avons demandé l’autorisation de la publier. La voici :

 

Je dois malheureusement décliner votre invitation, tout simplement parce que je ne sais pas ce que je pense de Podemos. J’ai pourtant suivi la naissance de ce groupe dès ses débuts, et je dirais même dès son origine, quand le mouvement du 15-Mai – baptisé mouvement des Indignés – a commencé à Madrid et à Barcelone, en 2011. Oui, je suis allé personnellement voir leurs manifestations, écouter les déclarations des uns et des autres. Elles m’ont semblé sincères, mais ingénues et vides. Je suis même allé voir immédiatement la faction « ultramarine » du mouvement à New York, appelée « Occupy Wall Street ». J’ai eu la même impression. Je me suis alors désintéressé du phénomène. Sans doute ai-je eu tort. Je me suis probablement trompé… Mais je n’en suis pas sûr.

Le tragique, en Espagne, c’est bien ­l’absence de dialogue. Peut-être parce qu’il n’y a pas d’idéologies ou plutôt d’idées. Suivre ici le débat politique, dans la presse ou par d’autres moyens, c’est comme assister à un combat d’escrime entre amateurs. Tout va bien jusqu’au moment où l’un des combattants décide de remplacer l’épée par le revolver. Je comprends le succès de Podemos vu la situation économique du pays, le ­comportement des ­partis traditionnels et le niveau de corruption auquel s’ajoute un degré d’incompétence vraiment comique tant qu’on n’est pas soi-même affecté par cette comédie sinistre. 

Mais pour l’instant, l’alternative offerte par Podemos n’est pas claire. Les comparaisons avec la Grèce ou avec les mouvements d’extrême droite, pour ne pas parler du fascisme, ne nous servent à rien. Même si quelque chose dans Podemos me fait penser aux origines de la Phalange, un mouvement soi-disant équidistant de la droite et de la gauche dont l’objectif manifeste était de mettre fin à une démocratie parlementaire en décadence. Les circonstances sont toutefois tellement différentes que la comparaison est rhétorique et ne fait que compliquer la question. Il est urgent d’attendre ! 

Dans quelques mois, des élections générales auront lieu en Espagne. Podemos devra exposer son programme. Peut-être pourrons-nous alors décider si Podemos a une dimension étatique ou s’il n’est qu’un phénomène médiatique. Ses dirigeants sont tous très jeunes. Ce ne sont pas des politiciens professionnels. Ils n’ont jamais mis un pied dans une assemblée parlementaire. Leurs seules armes, ce sont les plateaux de télévision et les réseaux sociaux. Les politiciens formés à la vieille école des tréteaux les redoutent, car ils les ringardisent lors des débats en les faisant passer pour des fossiles. 

C’est aussi ça, la force des dirigeants de Podemos.  

Vous avez aimé ? Partagez-le !