Quand on discute sur les fondements de l’enseignement populaire public, sur sa nature, sur son caractère, quand on parle de la neutralité scolaire et qu’on essaye de la définir, en sens divers, il me semble que l’on commet un malentendu.

On discute, on raisonne comme si une grande nation pouvait arbitrairement donner tel ou tel enseignement. Messieurs, on n’enseigne pas ce que l’on veut ; je dirai même que l’on n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir : on ­n’enseigne et on ne peut enseigner que ce que l’on est. J’accepte une parole qui a été dite tout à l’heure, c’est que l’éducation est, en un sens, une génération.

Je n’entends point du tout par là que l’éducateur s’efforcera de transmettre, d’imposer à ­l’esprit des enfants ou des jeunes gens telle ou telle formule, telle ou telle doctrine précise.

L’éducateur qui prétendrait ainsi façonner celui qu’il élève, ne ferait de lui qu’un esprit serf. Et le jour où les socialistes pourraient fonder des écoles, je considère que le devoir de l’instituteur serait, si je puis ainsi dire, de ne pas prononcer devant les enfants le mot même de socialisme.

S’il est socialiste, s’il l’est vraiment, c’est que la liberté de sa pensée appliquée à une information exacte et étendue l’a conduit au socialisme. Et les seuls chemins par où il y puisse conduire des enfants ou des jeunes gens, ce serait de leur apprendre la même liberté de réflexion et de leur soumettre la même information étendue. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Messieurs, il en est de même d’une nation et il serait puéril à un grand peuple d’essayer ­d’inculquer, aux esprits, à ­l’esprit de l’enfance, selon l’ombre fuyante des événements ou les vicissitudes d’un gouvernement d’un jour, telle ou telle formule passagère. Mais, il reste vrai que l’éducateur, quand il enseigne, communique nécessairement à ceux qui l’écoutent, non pas telle ou telle formule particulière et passagère, mais les principes essentiels de sa liberté et de sa vie. 

Eh bien ! messieurs, il en est des nations comme des individus ; et lorsqu’une nation moderne fonde des écoles populaires, elle n’y peut enseigner que les principes mêmes selon lesquels les grandes sociétés modernes sont constituées. Or, sur quels principes, depuis la Révolution surtout, reposent les sociétés politiques modernes, sur quels principes repose particulièrement la France, dont ce fut le péril, on l’a dit souvent, mais dont c’est la grandeur d’avoir par son esprit logique et intrépide poussé jusqu’aux conséquences extrêmes l’idée même de la Révolution ? L’idée, le principe de vie qui est dans toutes les sociétés modernes, qui se manifeste dans toutes leurs institutions, c’est l’acte de foi dans l’efficacité morale et sociale de la raison, dans la valeur de la personne humaine raisonnable et éducable. 

Extrait du discours du 21 janvier 1910 devant la Chambre des députés

 

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