La voix est grave et le cœur tendre quand le « prêtre chez les loubards » évoque les drames de ce début d’année, ce qu’ils inspirent aux jeunes en difficulté qu’il suit à Paris ou dans sa bergerie de Faucon, dans les gorges du Verdon. « Ils se taisent, commente l’auteur de La rue est mon église. Ils sont gênés. Et puis ils sentent comme sentent leurs parents. » Les paroles à prononcer, Guy Gilbert va les chercher chez ces jeunes imams qui se sont réunis à la Grande Mosquée de Paris au lendemain des tueries. « Ils ont cité le pape François : “On ne peut pas insulter la foi des autres.” Pour se consoler un peu, ils ont pris appui sur le chef des catholiques ! ». Il a retenu ce propos qu’aurait tenu Georges Wolinski à un ami, et qui résonne comme une prophétie : « Je crois que nous sommes des inconscients qui avons pris des risques inutiles, et on se croit invulnérables. » Le prêtre ajoute : « l’Église catholique ferme sa gueule car elle a déjà intenté un procès à Charlie et elle l’a perdu. Nous, chrétiens, avons Jésus-Christ devenu homme, fils d’un homme et fils de Dieu. Nous avons cette image, nous la cherchons. Mais les musulmans ne veulent pas d’images. Nous n’avons pas de conclusion à ce sujet, on ne peut pas en trouver. Mais quelques fous ont conclu par la tuerie à Charlie. Nous, catholiques, sommes très timides, très “fesses serrées” pour parler de la religion. Les musulmans, eux, sont très militants. Je crois que les images obscènes sur la religion catholique ou musulmane, ce n’est pas bon, cela atteint profondément la foi de chacun. Je crois qu’ils sont allés trop loin dans leur dernier numéro. Les dessins de Charlie ont provoqué des morts au Niger. Quand la démesure de l’écrit entraîne la démesure du sang, où va-t-on s’arrêter ? »

Alors que dire aux jeunes ? « Il faut enseigner les racines de chaque être et de chaque religion, répond Guy Gilbert. On a biffé dans les écoles l’histoire religieuse des musulmans et des juifs. Si les enfants possèdent enfin cette histoire, la leur et celle des autres, ils seront plus compréhensifs. Le prophète Mahomet a dit : « Essayez d’atteindre par la douceur ce que vous n’atteindrez jamais par la violence. » Il faut le répéter sans cesse. C’est un verset du Coran. Pour éduquer, il faut de la force et il faut de l’amour », poursuit ce curé pas comme les autres qui écrivit autrefois ce livre coup-de-poing sur la prison : Des jeunes y entrent, des fauves en sortent (Stock, 1982).

Quand les paroles semblent impuissantes, Guy Gilbert se raccroche aux gestes simples et symboliques. « Un jour à Faucon, un jeune musulman a trouvé au fond d’une poubelle une petite vierge à l’enfant. Il l’a réparée et me l’a offerte. Elle est installée discrètement à l’entrée de la bergerie. » Le prêtre y voit le dialogue toujours possible entre religions. Sans céder au prosélytisme. « Je ne parle jamais de religion à mes jeunes et aux éducateurs. Je rentre dans une discussion si on me pose des questions. J’essaie d’apporter des réponses. » Une image lui vient, inattendue. « Quand je prépare la messe, vient qui veut. C’est ainsi qu’à Faucon, des adolescents de religion musulmane la servent avec moi. Ils passent une aube ou un burnous et ils agissent de façon très belle. À la fin de la cérémonie, je peux dire merci Mohammed, merci Jean-Pierre… »  

E.F.

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