Jérôme Prieur

Le pire ennemi, c’est la volonté d’ignorance. Contre elle, il faut réhabiliter sans arrêt les droits de l’Histoire. L’un des buts de l’enseignement public devrait être d’oser faire l’histoire des grandes religions, ce qui a été tenté un moment, puis est devenu impossible pour des raisons politiques, idéologiques. Des jeunes gens qui prennent leur religion pour argent comptant – pour pain bénit si j’ose dire – s’apercevraient que les trois monothéismes sont étroitement imbriqués, que l’un ne s’explique pas sans les autres. Et qu’une telle histoire permet de dédramatiser les situations. Songeons que jusque vers le milieu du xxe siècle, faire l’histoire critique du Nouveau Testament sans en faire une histoire sainte était impossible. C’est à partir du moment où l’importance sociale du religieux a décru qu’on a pu avoir un regard historique sur le christianisme. Évidemment pour l’islam, qui naît sept siècles plus tard, les choses n’en sont pas là. Mais nous avons senti, en préparant cette nouvelle série, qu’un certain nombre d’intellectuels musulmans sont impatients d’arriver à cet examen critique de la formation de leur propre religion. Même s’il y a, comme chez les chrétiens, des fondamentalistes ou des fidèles qui préfèrent la foi du charbonnier à toute autre forme de réflexion. Il y aura toujours des fanatiques. Lorsque l’islam acceptera que des regards extérieurs s’exercent sur lui, les choses changeront profondément. 

 

Gérard Mordillat

Nous ne savons pas quand Jésus est né, ni quand il est mort. On a des fourchettes, mais on ne sait pas. On ne sait pas non plus pour Mahomet. Mais faire l’éloge du doute ruine l’autorité de ceux qui prétendent détenir une vérité sur l’Histoire. Il suffit de regarder les manuels scolaires français qui enseignent le christianisme aux élèves de troisième : c’est une sorte de catéchisme laïque pire que le catéchisme, parce que les profs veulent pouvoir dire : « Il est né là, il a fait ça, il a dit ça. » Or, même sur un plan pédagogique, ce serait extra­ordinaire d’apprendre à réfléchir avec le doute. Si la question est « Que savons-nous de Jésus ou de Mahomet ? », la réponse est vite réglée : rien ou pas grand-chose. Mais « Comment le savons-nous ? », alors là oui, nous avons des témoins fiables qui sont les textes produits cinquante, soixante-dix ans, un siècle plus tard et qui nous en donnent un écho sans jamais prétendre toucher aux faits bruts. L’histoire des religions devrait apprendre à réfléchir et accepter de ne pas savoir. Lorsqu’on interroge quelqu’un à la télévision, un champion cycliste ou un ministre, il vient pour dire qu’il sait. Je crois qu’une part très importante de ce que nous avons fait avec Jérôme Prieur consiste à montrer des chercheurs dont l’érudition est immense et qui sont capables de dire : « Nous ne savons pas. Par hypothèse nous pouvons supposer telle ou telle chose. » Ils restituent au spectateur ce que tous les pouvoirs politiques détestent : la capacité d’exercer son esprit critique. Un danger politique absolu.  

Retrouvez l'intégralité de l'interview réalisée par ventscontraires.net

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