Deux Français musulmans ont planifié froidement l’assassinat de la fine fleur du dessin satirique français et laissé derrière eux une boucherie sans nom. La France a donné ensuite dans un compassionnel assez dans l’air du temps, parce qu’il fait vendre du papier journal, du temps d’émission médiatique et du bavardage sur les chaînes d’information non stop. Anciens du GIGN ou du RAID, chefs des services politiques et éditorialistes, spécialistes en tout genre, se sont partagé le temps de parole avec l’anonyme qui enfilait les perles convenues : « Rien à voir avec l’islam », « Évitons les amalgames », quand ça n’était pas l’obscène : « Les musulmans sont les premières victimes » ! 

Le personnel de la classe politique emboîtait le pas à ces sans-nom : désormais, tout le monde s’appelait Charlie : les curés et les militaires, les rabbins et les imams, les beaufs et les politicards, enfin, tous ceux auxquels Charlie, journal qui frisait hier la faillite, bottait l’arrière-train chaque semaine ! Les cloches de Notre-Dame ont sonné pour Cabu, Arrabal a parlé de prix Nobel posthume pour les dessinateurs, quand ça n’était pas de Panthéon pour Charb ! Il faut n’avoir jamais lu Charlie pour croire qu’ils auraient souscrit à ces hochets-là. On peut n’avoir envie ni de la compassion qui empêche de penser, ni de la complicité avec ceux qui empêchent qu’on pense à coups de kalachnikov. 

Penser, justement, c’est se demander comment on en est arrivé là. Pour ce faire, sortons la tête du guidon et regardons un peu derrière nous : faisons de l’histoire, ce qui est le meilleur remède contre le compassionnel. 

Mitterrand a converti la France et les socialistes au libéralisme en 1983. Pour laisser croire à ses électeurs qu’il ne faisait pas la politique de Giscard, libérale, européenne, pourvoyeuse de chômage, donc de paupérisation, donc de délinquance, donc de radicalisations diverses, notamment islamiste, il a instrumentalisé un Front national qui, avant lui, était groupusculaire, jusqu’à faire entrer 35 députés à l’Assemblée nationale en 1986 sous prétexte de proportionnelle. Le FN c’est le balai de l’apprenti sorcier… 

Tout ce qui cassait la droite en deux lui était bon pour se maintenir au pouvoir et envisager une réélection – qui a eu lieu. Pour que le FN existe, il fallait deux camps : le bien et le mal, les immigrés et les antiracistes. Deux camps, c’est le début de la fin pour la pensée. C’était pour la gauche libérale l’assurance de pouvoir continuer à se partager le pouvoir avec la droite libérale. Après Mitterrand, Chirac, après Sarkozy, Hollande, pour un même programme : celui de Giscard !

L’Europe de Maastricht, nouveau hochet de Mitterrand, devait apporter le plein-emploi, l’amitié entre les peuples, la fin des guerres ; on a eu le chômage de masse, le communautarisme, la dilution de la république, et, désormais, ce qu’il est convenu de nommer la guerre civile… La fin de la gauche antilibérale diluée dans les postes ministériels du programme commun, puis la chute du mur de Berlin ont laissé les mains libres au marché que gérait la gauche libérale sans problèmes de conscience. Elle le gère toujours de la même manière et joue toujours avec le FN, diable créé et entretenu par ses soins.

Pendant ce temps, la France menait une politique schizophrène : islamophobe au-dehors, islamophile au-dedans. C’est toujours le cas aujourd’hui. Dehors, droite et gauche confondues, la France a bombardé les populations musulmanes d’Afghanistan, d’Irak, de Libye, du Mali sous prétexte de lutter contre le terrorisme qui, avant les bombardements, ne nous menaçait pas directement. La plupart des intellectuels ayant pignon sur rue ont soutenu ces guerres – quand ils ne les ont pas voulues ardemment, je songe au terrible rôle de BHL comme figure emblématique de ceux-là. Comment ces guerres répétées contre les musulmans partout sur la planète depuis presque un quart de siècle ne pouvaient-elles pas faire de la France une cible ? Ce qu’elle est devenue aujourd’hui. 

Islamophobe au-dehors, la France est islamophile au-dedans. En effet, l’islam en France a été représenté comme n’ayant rien à voir avec l’islam planétaire. C’est méconnaître le sens de l’oumma que définit la communauté de la totalité des musulmans sur la planète. C’est aussi faire silence sur la revendication des tueurs de Charlie qui se réclament d’Al-Qaïda au Yémen, bien qu’étant Français : parce que la communauté, l’oumma, fait fi des frontières et des nations. L’islam est une religion déterritorialisée dont le message emprunte les voies d’Internet qui réunit en temps réel ceux qui sont séparés dans le temps et dans l’espace sur la totalité du globe. 

Les médias dominants reprennent en chœur, et avec eux la classe politique, l’antienne d’un islam « religion de paix, de tolérance et d’amour ». Il faut n’avoir jamais lu le Coran, les hadiths du prophète et sa biographie pour oser soutenir une chose pareille ! Quiconque renvoyait à ces textes passait pour un littéraliste islamophobe – la parution de mon Traité d’athéologie, il y a dix ans, m’a montré l’étendue des dégâts. En même temps que l’inculture de ceux qui s’avèrent moins islamophiles que liberticides ! 

La gauche libérale et la gauche antilibérale communient dans cette dénégation en laissant le champ libre à Marine Le Pen qui s’engouffre avec joie et, hélas, succès dans ce vide laissé par la dénégation de gauche. Il n’y a pas une différence de nature mais une différence de degrés entre l’islam pacifique du croyant intégré dans la république qui conduit sa vie bonne en instaurant en principe la fameuse sourate «  pas de contrainte en matière de religion » et l’islam de ceux qui s’appuient sur de nombreuses autres sourates du même Coran et qui s’avèrent antisémites, phallocrates, misogynes, homophobes, bellicistes, guerrières, et tuent au nom du livre qui dit aussi qu’il ne faut pas tuer…

L’impéritie du personnel politique qui n’a plus d’autre perspective que l’accès ou le maintien au pouvoir a désespéré une grande partie des Français. Certains votent sans illusions, certains ne votent plus, certains font semblant, certains souscrivent à des idéologies clés en main, la religion remplit admirablement cette fonction, certains opèrent un repli égocentré. Certains sont également tentés par la violence : Robespierre redevient un modèle pour certains, d’autres attendent avec gourmandise « la révolution qui vient » et elle n’a pas l’air de se vouloir pacifique, d’autres louchent vers Mao ou Lénine, quand ça n’est pas Staline. Et certains font des fedayin des années soixante-dix leurs modèles de pensée et d’action. Nous y sommes. Hélas !

Que n’avons-nous aujourd’hui, à gauche, un Chevènement capable, au-dehors, de mener une politique proarabe qui ne soit pas anti-israélienne et, au-dedans, de conduire une politique clairement laïque qui ne laisse aucun pion se positionner dans une stratégie antirépublicaine sur l’échiquier français.

Vous avez aimé ? Partagez-le !