Travaillez, prenez de la peine :
C’est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur sentant sa mort prochaine
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’août.
Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le Père mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, partout ; si bien qu’au bout de l’an
Il en rapporta davantage.
D’argent, point de caché. Mais le Père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.

Fables choisies et mises en vers, Livre V, Fable IX, 1668.

À la morale principale de cette fable, Jean de La Fontaine (1621-1695) ajoute une leçon au pédagogue : il faut plaire pour instruire. C’est affaire de tour de phrase et d’esprit. Du créateur prolifique, auteur notamment d’Adonis et des Amours de Psyché et de Cupidon, la postérité retient d’abord les Contes licencieux et les Fables. Deux œuvres menées de front, aux nombreuses interactions, si leurs visées diffèrent. Car, à quarante-six ans, le fabuliste dédie au jeune dauphin son premier recueil d’apologues. Pour semer la vertu, « Une ample Comédie à cent actes divers, / Et dont la scène est l’Univers. » En quelques mots, hommes, bêtes et plantes y prennent vie. Un enchantement né d’un équilibre subtil entre épure et ornement, d’une sensibilité aiguë. Victor Hugo écrira : « La Fontaine, c’est un arbre de plus dans le bois, le fablier. » Dans les livraisons suivantes, l’inspiration orientale succède aux traits familiers d’Ésope. Et la confidence affleure sous l’emblème. Rien de plus savant que cet art de la conversation, le naturel de ces vers mêlés. Quel enseignement retirer alors des deux cent quarante fables, moins commandements que peintures souvent de la noirceur de l’âme humaine ? Sans doute le sourire d’une connivence lucide, la gaieté d’une méditation partagée. Bien que tout trésor rime avec la mort, creusez pourtant, fouillez, bêchez. Contrairement aux fruits de la terre, le travail ne manque jamais. Vous trouverez peut-être, comme le poète, un véritable pactole : la joie de vous connaître.

À lire : Patrick Dandrey, La Fabrique des Fables, Klincksieck, 2010.

 

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