Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris,
Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris, 
Le fils assassiné sur le corps de son père, 
Le frère avec la sœur, la fille avec la mère, 
Les époux expirant sous leurs toits embrasés, 
Les enfants au berceau sur la pierre écrasés :
Des fureurs des humains c’est ce qu’on doit attendre. 
Mais ce que l’avenir aura peine à comprendre, 
Ce que vous-même encore à peine vous croirez, 
Ces monstres furieux de carnage altérés, 
Excités par la voix des prêtres sanguinaires,
Invoquaient le Seigneur en égorgeant leurs frères ;
Et, le bras tout souillé du sang des innocents, 
Osaient offrir à Dieu cet exécrable encens.

 

En 1572, lors de la Saint-Barthélemy, des milliers de Français catholiques tuent des milliers de Français protestants : « le plus grand exemple de fanatisme », écrira Voltaire. Le poète a 28 ans lorsqu’il publie en 1723 La Henriade en hommage à Henri IV et à la tolérance. Le succès sera immense. Les vers ci-dessus sont extraits du deuxième chant de l’épopée. Henri de Navarre y raconte les malheurs de la France à la reine Élisabeth d’Angleterre. Pour mieux la convaincre, il utilise une prétérition, prétend qu’il ne dépeindra pas ce qu’il va justement évoquer. Les corps s’entassent dans des alexandrins dont la césure classique après la sixième syllabe renforce les effets de symétrie. Les mots de la passion se multiplient : fureurs, altérés, excités… Pessimiste, le jeune écrivain trouve naturel que l’altération de la raison conduise aux pires malheurs. Il préfère insister sur l’incongruité de cette offrande au Seigneur et la responsabilité du clergé. « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? », se demandera-t-il des décennies plus tard. Si l’unique remède est philosophique, il ne suffit pas toujours à soigner un cerveau gangréné. Raison de plus pour prévenir les accès du mal. Le philosophe déiste combat les abus de pouvoir politiques et religieux, concluant à partir des années 1760 nombre de ses lettres intimes par la formule « Écrasez l’Infâme ». Ses seules armes furent l’esprit et la plume, au risque assumé de l’exagération et de la caricature.

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