Jérusalem est le nœud de trois contradictions structurelles de l’État d’Israël :

  • Israël a été fondé comme État juif, mais également comme une démocratie assurant l’égalité complète des droits sociaux et politiques de tous ses habitants ; 
  • l’expansion territoriale est conduite dans le but d’intégrer le maximum d’espace tout en incluant le minimum d’habitants palestiniens ;
  • Israël recherche la reconnaissance des États voisins arabes, mais cette démarche est compliquée par la tentative de remise en cause de la tradition sur le mont du Temple / Haram-al-Sharif (dont l’accès est ouvert aux non-musulmans mais sans le droit d’y prier).

 

1. La coïncidence entre les débats sur l’identité d’Israël et les tensions liées à la multiplication des visites de juifs très religieux sur l’esplanade des Mosquées (8 500 en 2013) est frappante. Par tradition, les Arabes musulmans de Jérusalem ont le droit exclusif de prier sur le Haram qui est géré par le royaume hachémite de Jordanie, en tant que troisième lieu saint de l’islam. Les autres peuvent s’y rendre mais ne sont pas autorisés à pratiquer « l’ascension » de prière. Pour certains militants de la cause nationale-religieuse, cette autonomie arabo-musulmane est perçue comme un signe de souveraineté incomplète. Ils semblent vouloir obtenir, dans un premier temps, des droits de prière égaux. Assiste-t-on à ce que Richard Haas, président du Council on Foreign Relations de New York, a nommé le 9 décembre dernier à Séoul, à l’occasion de la World Policy Conference, un processus de « tribalisation », reprenant un ancien diagnostic du philosophe Emmanuel Levinas ? Le débat national est exacerbé dans la Vieille Ville. 

Dans cette zone, étendue sur 86 hectares, résident environ 37 000 habitants, dont 31 000 Arabes palestiniens. Le quartier chrétien abrite 4 600 personnes (et 40 monastères, en majorité grecs-­orthodoxes) ; le quartier arménien ne dépasse pas 2 100 habitants et le quartier juif 2 400. Les enjeux patrimoniaux y sont complexes. L’État d’Israël étend ses emprises foncières, mais ce lieu, qui symbolise le retour des juifs en Terre sainte, reste majoritairement peuplé de résidents palestiniens.

2. La dynamique démographique s’ajoute à la dimension symbolique. L’objectif officiel des gouvernements successifs est de maintenir la part des Arabes dans la ville de Jérusalem à 30-35 %. Or, ceux-ci sont passés de 25,8 % en 1967 à 36,8 % en 2012 et ils seront au moins 38,8 % en 2020. Une démographie patriotique se caractérise par des taux de fécondité plus élevés. On compte aujourd’hui 515 100 Juifs israéliens et 300 200 Arabes palestiniens (contre 197 700 et 68 600 en 1967). Des contre-­mesures sont employées : expulsions, démolitions de maisons construites illégalement (mais elles le sont toutes depuis 1967), suppression du statut de résident après cinq ans d’absence, déficit d’équipement et d’entretien du bâti, impossibilité d’obtenir des permis de construire… À cet égard, la multiplication systématique des implantations israéliennes dans le district de Jérusalem tente de compenser la résilience démographique palestinienne.

Israël est-il une démocratie fondée sur l’égalité des droits ou la poursuite d’un projet ethno-religieux ? L’avenir dépend de la résilience palestinienne (le sumud) et de la vitalité du débat démocratique en Israël même.

3. En cas de remise en cause du statu quo dans la Vieille Ville, les gouvernements israéliens successifs se trouveraient en porte-à-faux à l’égard de la Jordanie (en charge du Haram) et de ­l’Arabie saoudite (la famille royale tire sa légitimité de son rôle de gardienne des deux autres lieux saints de l’islam) alors que les trois pays partagent le même objectif stratégique de contention de l’adversaire iranien et du bloc chiite. Le roi Abdallah de Jordanie a menacé de réviser le traité de paix bilatéral de 1994. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !