« L’action, ce sont les hommes au milieu des circonstances. » Comme Charles de Gaulle, à qui l’ont doit cette formule, Winston Churchill combinait intelligence, hardiesse, courage et instinct. Faites d’intuition et de détermination, leurs qualités les désignaient déjà à l’attention de leurs contemporains. L’orage qui s’abat sur l’Europe en juin 1940 les hisse sur les cimes où ils s’étaient toujours vus. Ils en seront chassés la paix revenue, telle est l’ingratitude des peuples, avant d’être rappelés au pouvoir, tel est le lot des hommes providentiels.

À l’heure où le Royaume-Uni et la France déclarent la guerre à Hitler, Churchill et de Gaulle rongent leur frein. Les Britanniques tiennent le premier pour un has-been. La plupart des Français ne savent rien du second. Leurs concitoyens les ignorent, mais ils sont prêts. Parlementaire flamboyant, plusieurs fois ministre, Churchill a quitté le gouvernement dix ans plus tôt. Rares sont les Britanniques à faire encore crédit à cet aventurier de la politique. En 1915, alors qu’il était Premier lord de l’Amirauté, le fiasco de l’expédition des Dardanelles contre les forces ottomanes a failli mettre fin à sa carrière. À 67 ans, croit-il encore à son étoile ? Sa mise à l’écart ne le fait pas taire en tout cas. Il s’insurge aux Communes contre le réarmement de l’Allemagne et plus encore contre les accords de Munich.

Le comportement de Neville Chamberlain l’indigne à l’heure où, de l’autre côté de la Manche, de Gaulle maudit Édouard Daladier. Officier brillant à la plume alerte, ce colonel de 47 ans est un théoricien hétérodoxe qui a frappé à toutes les portes – généraux, ministres, parlementaires… – pour les convaincre que la prochaine guerre se disputerait non sur la ligne Maginot, mais dans les plaines de l’Est entre corps de blindés mobiles, pourvu que la France s’en dote à temps.

La débâcle de juin 1940 justifie leurs pires alarmes. L’héroïque Royal Air Force ne plie pas, mais c’est un miracle. Ah ! si on avait écouté Churchill ­exigeant des crédits et encore des crédits pour ­l’armée. Ah ! si de Gaulle avait su convaincre le haut état-major.

La tête ailleurs, le Times du 19 juin 1940 n’accorde qu’une place ténue à ­l’appel lancé la veille au micro de la BBC par un général français dont on commence à parler : il a siégé douze jours au gouvernement quand tout était perdu et, à ce titre, a rencontré pour la première fois Churchill. L’événement du jour, pour les Londoniens, c’est le discours ­d’anthologie, un de plus, que le nouveau Premier ministre a prononcé le 18 juin, lui aussi. Un même leitmotiv pour de Gaulle et lui : résister.

L’orgueil d’avoir vu juste les conforte dans l’idée qu’ils sont des êtres à part. Si, toute sa vie, de Gaulle s’est fait « une certaine idée de la France », l’horizon de Churchill se confond avec le fier British Empire où il a plus d’une fois fait le coup de feu. Le puritanisme du Français, qui contraste avec les excentricités du Britannique, masque mal leur gémellité. Officiers de formation l’un et l’autre (Sandhurst, Saint-Cyr), ils perpétuent une tradition : servir la patrie, le précepte qui les résume le mieux. Leurs pères leur ont montré la voie : Henri de Gaulle a été blessé en 1870 en défendant Paris contre les Prussiens, à l’heure où Randolph Churchills’apprêtait à entrer en politique. Comme Winston, il sera chancelier de l’Échiquier. 

Leur patriotisme existentiel les convainc, la victoire acquise, que leur pays aura à nouveau besoin d’eux. En 1945, les Britanniques ont préféré à celui qui leur promettait « du sang, de la sueur et des larmes », le travailliste Clement Attlee. Ils veulent du pain et un job. L’année suivante, de Gaulle quitte le pouvoir à son tour, victime du même changement d’humeur. L’époque renie ses héros. De retour au 10 Downing Street en 1951, à 77 ans, Churchill n’est plus qu’un symbole. En 1958, lorsqu’il revient aux affaires, de Gaulle est davantage qu’une icône : une solution. Épris du pouvoir, Churchill et lui se faisaient aussi une haute idée de leur devoir. 

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