Vue des États-Unis, la dichotomie entre l’image du français et celle des Français intrigue. Autant notre langue et notre culture jouissent d’une aura inoxydable, autant les Français ont facilement mauvaise réputation (nos serveurs sont arrogants ; nos dents sont vertes ; militairement, nous serions traîtres…). Je peux témoigner du goût des étudiants étrangers pour notre langue, à laquelle ils consacrent temps et efforts. Dans la conversation, c’est avec gourmandise que les Américains glissent une expression comme un « je ne sais quoi ». Inutile d’avoir étudié le français pour lancer  « Enchanté ! » à la première personne que l’on vous présente. En revanche, ponctuer un débat d’un sonore « Touché ! » – reconnaissant par cette expression de bretteur que l’argument de votre interlocuteur a porté – relève d’une distinction qui parle de votre être social. Le français est chic, au risque de se retrouver cantonné à un effet de style, évoquant l’anglomanie d’Odette Swann invitant ses amis à son « five o’clock tea ».

Cet emploi accessoire du français ne saurait masquer le retrait de notre langue dans les sphères professionnelles ou numériques. D’ailleurs, le cliché prévalant veut que le Français soit attablé à une terrasse de café, plutôt qu’à son bureau. L’expérience de l’expatriation est, à cet égard, éloquente en ce qu’elle entraîne un déficit dans l’usage de la langue maternelle. Face à la redoutable efficacité des expressions verbales anglaises, tournées vers l’action, la propension française à employer des noms fait peser sur le discours un caractère descriptif. La parole des Français de l’étranger s’émaille donc d’anglicismes (« on a engagé avec  les autorités ») quand il ne s’agit pas tout simplement d’expressions anglaises (allez traduire « soft power » !). Les recommandations officielles, visant à limiter la tendance et maintenir la validité de l’emploi du français au travail, doivent passer l’épreuve de l’usage pour s’ancrer dans la langue. Mots-dièse, courriels… les néologismes proposés tentent de rattraper une réalité de l’innovation et de la recherche majoritairement anglophones. Notre récent Prix Nobel ne dirige-t-il pas la Toulouse School of Economics ? Nougaro serait vert.

Mais halte à l’éreintage du français. Le français brille aujourd’hui par les voix multiples qu’il prend à travers la francophonie. La diversité de ces 77 pays ayant le français en partage incarne sa richesse : comprendre les conflits ethniques en lisant Ahmadou Kourouma ou penser la condition féminine en écoutant Angélique Kidjo ouvre les yeux et les oreilles sur le monde. Les thématiques du développement constituent aussi un vecteur important de la diffusion de notre langue, à la jonction du politique, de l’économique et du culturel. Même si parfois « c’est caillou » – pour dire compliqué au Bénin –, les identités régionales s’expriment au travers de la saisie particulière d’une langue commune. Quel plaisir d’entendre les Québécois « sacrer » comme au xviie siècle, « calice » ! À l’image de notre Nuit blanche, qui s’exporte dans le texte, à travers les 200 plus grandes villes du globe, chérissons le génie de notre langue avec « joie de vivre » ! 

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