En France, quand on veut parler du slam, on est tenté de commencer par s’en prendre aux préjugés : dire et redire tout ce que le slam n’est pas. Ce n’est pas un genre musical (ce n’est ni du rap ni de la chanson). Ce n’est pas un genre littéraire (bien qu’il s’apparente à de multiples égards à la fois à la poésie et au théâtre). C’est un dispositif.

En 1984, à Chicago, un ancien ouvrier du bâtiment devenu écrivain-poète, Marc Smith, se sentit investi d’une mission : « faire descendre la poésie de sa tour d’ivoire ». Il désirait la faire sortir des cercles qu’il jugeait trop académiques pour gagner un public plus populaire. Pour cela il imagina des rencontres, dans des bars, où se joueraient des tournois de poésie (c’est de là que vient le mot « slam », chelem en anglais). Son pari : déplacer la pratique littéraire de la poésie dans un autre cadre, celui de la compétition sportive, propre à intéresser le plus grand nombre. Il mit en place des règles : l’a cappella d’abord, ce sera un corps, un texte, une voix, nus, exposés au regard du public. La contrainte du temps ensuite : trois minutes, pas plus, le poète trop bavard se verra attribuer des points de pénalité, car la parole doit être partagée, démocratique et démocratisée. Enfin, la constitution d’un jury, pris au hasard dans le public, non spécialisé donc, qui accueillera les mots livrés et – très subjectivement – donnera une note pour saluer la qualité et l’originalité du texte et de la performance et permettre aux slameurs de round en round d’atteindre peut-être la finale.

Le slam est un jeu donc, aux règles bien établies, mais plus encore c’est un jeu de société. Ce que le slam fait à la langue ? C’est une discipline de l’oral, de l’instantané, du « sur le vif ». Les poètes doivent marquer, hic et nunc, par le rythme, par la voix, par les images et les sons. Le slam, c’est le maniement de la langue efficace, trois minutes pour étreindre, trois minutes pour remuer. C’est l’écriture tournée vers une oralité du sensible, celle qui doit remporter l’adhésion du grand nombre, pas tant par le contenu que par l’impression laissée d’une cohérence de la performance, âme et corps, voix et langue, respiration, brutalité de l’exposition de soi. Parfois on gagne, alors on quitte la scène fier, et on s’assoit dans le public, pour écouter le suivant. On a trouvé sa place, un peu, et on la cède. Drôle de communauté où le public est véritablement acteur. Le quatrième mur est bien tombé. La langue saura en faire tomber d’autres. 

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