Longtemps j’ai cru que l’ailleurs était vraiment ailleurs. Le plus loin possible. J’ai mis des kilomètres dans mon passeport. J’ai dévalé l’Afrique (les Afriques), coupé l’équateur à coups de sécateur, traversé des villes étrangères, entendu d’autres langues. J’ai respiré des matins inconnus et des nuits sans lumière, Lagos et Addis-Abeba, Abidjan, Bamako, Cotonou, Conakry, Pretoria. J’avais en tête les mots d’ordre des aventuriers : partir, ce rêve de vivant (Christophe Colomb) ; partir, ce rêve de projectile (Paul Morand). Partir en tout cas. Je partais et je retombais chaque fois sur moi que je croyais fuir. En partant, on reste d’abord avec soi. 

Les voyages ne m’ont rien appris sur mon compte que je ne savais déjà. L’ailleurs, espérais-je, était l’autre mot pour dire danger. Danger de se perdre. C’était risible : après tous ces fuseaux -horaires franchis, ces lignes droites dans le ciel pareilles à des lignes de vie, je ne me suis jamais si peu perdu qu’en voyage. Il m’a fallu du temps et des heures de vol pour comprendre l’évidence. J’avais mes ailleurs au-dedans de moi. Dans mon identité longtemps inconnue de fils du Maghreb. Quand j’ai traversé la Méditerranée pour la première fois, l’année de mes vingt ans, j’ignorais qu’elle me traversait depuis toujours. Elle était le sang bleu de mon père marocain, et autant celui de mon père adoptif de Tunisie. L’ailleurs, c’est aussi la part de soi qu’on met parfois toute une vie à découvrir, sans assurance de la trouver.  

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